Janvier 1916

CHAPITRE PREMIER ]

 

 

 

Le 1er janvier 1916.

Je suis sorti de l'hôpital maritime à 9 h 30 pour rejoindre mon embarquement le croiseur cuirassé "Marseillaise" en passant par le dépôt. Arrivé à bord je fais la demande d'une permission, 24 h me sont accordées, je suis payé et pars du bord à midi trente. Je prends le train de 15h à Brest, arrive à Rennes à 20 h 41.

 

Le 2 janvier 1916.

Je passe la journée dans ma famille et fais quelques visites.

 

Le 3 janvier 1916.

Je prends le train à Rennes à 4 h 10 pour Brest. Arrivé à Brest à 10 h le train ayant 1 h 20 de retard, je déjeune à Brest, fais quelques achats et rentre à bord. La "Marseillaise" est toujours dans l'arsenal.

 

Le 4 janvier 1916.

Travaux divers à bord. Les mécaniciens du bord travaillent jusqu'à 23 h pour la pose du linoléum sur le pont. Des subsistants de divers bateaux de l'escadre y travaillent également pendant la journée ainsi que des ouvriers du port.

 

Le 5 janvier 1916.

Même service que la veille. Les ouvriers du bord, mécaniciens assurent le service du soir par bordée.

 

 Marseillaise brest

Le pont National ouvert - Passage du Cuirassé "Marseillaise"

Le 6 janvier 1616.

On allume les feux à midi, à 15 h la "Marseillaise" sort de l'arsenal, et mouille en rade abri, l'embarquement des poudres noires s'effectue dans la matinée, et celui du coton poudre aussitôt que le bateau à pris le coffre. Les feux sont mis sur l'avant.

 

Le 7 janvier 1916.

On pousse les feux à midi, ordre est donné d'appareiller à 15 h 25, puis un ordre retarde l'appareillage de 1 h. A 16 h 25 appareillage. Les équipages du croiseur "Gloire" (bateau amiral) et du croiseur "Dupetit-Thouars"‚ change avec l'équipage du bord des cris d'enthousiasme, puis la musique de la "Gloire" joue le chant du départ, le régiment de Sambre et Meuse, puis la "Marseillaise". L'équipage se tient au poste de bande jusqu'à la sortie de la passe de la rade abri. Quand le bateau à pris le large il a été violemment secoué, beaucoup d'hommes ont été malades, moi pour mon compte je suis très bien, je ne ressens rien quoique qu'il fasse mauvais temps. Le service en 2 quarts est usage dans la machine.

 

Le 8 janvier 1916.

Le bateau fait cap sur le sud-ouest depuis son départ de Brest, jusqu'à 8 h ce matin, le temps s'est beaucoup calmé, il fait presque beau le matin et cependant je suis malade, indisposé sensiblement. A 11h nous croisons un voilier norvégien, un trois mâts qui fait le même cap que nous, car depuis 8 h nous faisons cap sur le sud et avons diminué l'allure de 18 nœuds. Le voilier se fait reconnaître et donne son numéro, puis nous nous écartons de lui. A midi l'heure est retardée de 46 minutes sur l'heure de France. Le temps s'est beaucoup calme, il fait beau et je suis toujours malade, plus malade que le matin, malade comme jamais je ne l'ai été à la mer. Je prends tout pour me calmer, mais rien n'y fait. Mon maître me donne du sucre pour prendre avec de l'alcool de menthe, j'en absorbe quelques gouttes mais rien ne fait pour le mal, il me donne aussi une mandarine, à peine mangée qu'il a fallu que je la vomisse. Je me couche au branle-bas, j'ai nuit franche, le lendemain matin je ne sens plus rien.

 

Le 9 janvier 1916.

Il fait très beau, plus beau que la veille mais il y a davantage de roulis, nous avons la lame et les vents par bâbord un peu en arrière. Je suis très bien aujourd'hui, rien du mal de la veille aussi j'en profite pour me soigner afin de l'éviter. Rien de nouveau sur la route, aucune rencontre. A midi l'heure est retardée de 25 minutes sur celle de la veille. L'allure est toujours la même. Il y a encore quelques malades à bord mais le nombre est assez restreint. Je rêve au dimanche précédent, et je suis loin de pouvoir être aussi heureux.

 

Le 10 janvier 1916.

Journée très calme. La mer est belle, le roulis est aussi fort qu'hier, je suis très bien. A midi l'heure est retardée de 22 minutes. Aucune rencontre dans le reste de la journée.

 

Le 11 janvier 1916.

Il fait un temps superbe. A 6 h 1/4 le matin, j'aperçois un feu par tribord avant à 7h, je distingue la terre par tribord avant, mais comme dans un nuage. Jusqu'à 10h la terre est en vue, la côte est montagneuse. Une ville dont les toits des maisons sont couverts en tuile rouge, se distingue entre deux montagnes. L'île qui se trouve sur la route du bâtiment fait parti des Îles Acores, celle que nous rencontrons est la plus au sud, sur cette île est placée un mont de 1088 m, c'est l'île (San Miguel), les îles Acores appartiennent au Portugal.

La route se continue toujours sur le même cap. Les vents se lèvent vers 17h, le roulis est toujours aussi fort cependant la houle de fond ne parait pas autant à la surface. A midi l'heure est retardée de 22 minutes.

 

Le 12 janvier 1916.

Les vents sont toujours du même bord mais plus intense qu'hier. La mer est plus houleuse, plus agitée, le roulis continu à chahuter et le bateau commence à piquer du nez. A midi l'heure est retardée de 22 minutes, j'aperçois vers 13 h une tortue de mer qui dort entre deux eaux. Quelques grains de pluie dans la soirée, la pluie est chaude et les gouttes très grosses, comme les pluies d'orage en France. La mer est recouverte de raisins du tropique (plante marine qui a la forme d'une grappe de raisin, sa couleur est verte et il s'en trouve beaucoup dans la mer des Sargasses.) par certains passages.

 

Le 13 janvier 1916.

Les vents ont tourné et sont maintenant par-devant, la matinée se passe avec beaucoup de pluie et une mer houleuse, plutôt médiocre, le navire tangue et roule. Vers 11 h les vents diminuent un peu mais restent dans le même sens. A midi l'heure est retardée de 22 minutes sur la veille. Beaucoup de poissons volants (poissons qui à la forme du maquereau, un peu plus long, muni d'ailes). Il peu voler plus de 500 mts en moins de 30 secondes.) se trouvent sur le passage car dans l'après-midi j'en vois une grande quantité s'envoler pas très loin du bord. L'après-midi est beau, le temps s'est calmé. Certains endroits je vois encore du raisin du tropique. A 20 h moins quelques minutes un feu est aperçu par tribord, puis quelques instants après un bateau se distingue par tribord, l'armement des pièces d'artillerie redouble la veille, le navire change de route pour laisser passer l'autre qui s'est fait reconnaître puis reprend sa direction ensuite. A 20 h 40 on ne distingue plus rien du bateau. La chaleur à été douce toute la journée.

 

Le 14 janvier 1916.

Le vent est dans la même direction qu'hier mais plus fort. La mer est plus houleuse et se démonte dans l'après-midi. La journée à eu passablement de la pluie. A midi l'heure est retardée de 16 minutes.

 

Le 15 janvier 1916.

Les vents sont dans la même direction mais très faibles. La mer est quand même houleuse, c'est de la houle de fond qui fait rouler le navire bord sur bord. Beau temps par ailleurs. A midi l'heure est retardée de 15 minutes. Le soleil commence à chauffer, ses rayons sont même par moment insupportables. Il fait une chaleur épouvantable dans les batteries la nuit.

 

Le 16 janvier 1916.

Pas de brise. A 7 h j'assiste au lever du soleil, c'est magnifique, le soleil sort des flots à l'horizon et colore les nuages de toutes nuances, puis se soulage graduellement à vue d'œil, jamais je n'ai remarqué plus bel aurore. Dans la matinée quelques crises s'échangent avec mon maître, chef de service, crises de mécontentement. A midi l'heure est retardée de 15 minutes. Je suis employé à vérifier les vis de fixation des plaques de linoléum. A 13 h j'assiste à une conférence sur les Antilles, l'orateur est un capitaine du bord. Ensuite je suis pesé en passant la visite sanitaire, je pèse exactement 64 kgs 900. Les vents ne se lèvent qu'à 20 h 30 et viennent par bâbord. Vers 10 h le matin j'attrape un coup de soleil dans le cou et derrière les oreilles. Le soleil est très chaud, à 8 h le matin il brûle comme les midis d'été en France. La température des batteries la nuit est très élevée. Je souffre beaucoup, ainsi que tous. Pour trouver quelques heures de sommeil.

 

Le 17 janvier 1916.

Les vents par bâbord, la mer est un peu houleuse, le bateau roule. La matinée voit beaucoup de grains, chaque grain dure environ 6 à 7 minutes, ce sont de grosses gouttes de pluie chaude, un quart d'heure après le soleil à tout séché. Les poissons volants sont seuls en mer pour nous distraire, parfois ils s'envolent par bandes, il y en a au moins un cent ensemble, parfois aussi ils sont isolés, c'est par un deux ou trois qu'ils s'envolent. A midi l'heure est retardée de 18 minutes. L'après midi, délivrance des effets d'habillement, à 11 h, j'ai touché mon casque, à 14 h, j e touche mes ceintures de flanelle et vareuses blanches avec parements bleus aux manches. Toute l'après-midi je suis autorisé à porter mon casque sur ma tête ainsi que les hommes qui travaillent avec moi sur le pont arrière au linoléum. Quelques grains de pluie mais moins que le matin. Les vents tombent un peu, il fait déjà très chaud. La nuit la chaleur étouffe les hommes dans leur hamac. L'eau des charniers est tiède depuis plusieurs jours. Le 8 janvier avec mon indisposition j'ai oubli‚ de signaler, la rencontre par tribord d'un vapeur d'assez grand tonnage, ce devait être un courrier ou un paquebot anglais puisque des dépêches par T.S.F. ont été échangées. Le 16 janvier vers 15 h nous sommes passés sous le tropique du cancer.

 

 Poussier2

Henri Poussier

 

Le 18 janvier 1916.

Il fait beau, les vents ne sont pas trop forts et viennent par bâbord. A midi l'heure est retardée de 18 minutes. Le casque est porté par la même équipe qu'hier, je suis toujours occupé sur le pont. Quelques grains de pluie pendant la journée. Dans l'après-midi j'ai une crise avec un second maître armurier. Vers 15 h j'aperçois un gros poisson sur l'arrière, il fait au moins 8 mètres de longueur, c'est un cachalot, lu plus grand ennemi du requin, un deuxième se fait voir par bâbord, 1h plus tard un peu moins gros que le premier, les poissons volants ne sont pas rares. La nuit est toujours assez chaude dans les batteries. Je me couche très tard, je reste avec quelques copains prendre le frais sur le pont.

 

Le 19 janvier 1916.

Je ne puis plus résister dans mon hamac, je me lève à 3 h et en profite pour laver un peu de linge. A 4 h la lune éclaire et me laisse voir la terre à travers un voile, deux feux sont en vue également, le tout par tribord. A 5 h la terre se détache très bien. La côte est bien en vue, toute garnie de monticules. A 6 h à l'heure du branle-bas, presque tout l'équipage contemple la terre. La côte est très jolie, plus belle que celle de France, c'est l'île de la Martinique, plusieurs couleurs se détachent, j'aperçois non loin de la côte des champs de canne à sucre, des champs de bananiers, des platanes, des palmiers, c'est merveilleux. Par bâbord la terre est en vue également, c'est l'île Santa-Maria. Le bateau passe assez loin et je ne peu voir qu'une côte assez accidentée. Enfin à 9 h 15 l'ancre est jetée, cela fait exactement 280 heures 3/4 de marche sans stopper les machines, ou presque 12 jours entiers de mer. A 10 h déjà les doudous arrivent avec des pirogues pour venir à bord, l'autorisation leur est donnée, les femmes sont vêtues à l'européenne ainsi que les hommes qui montent à bord, les nègres qui s'occupent des pirogues, sont eux courts vêtus. La race est très belle je remarque que l'homme est bâti en athlète, et la femme assez forte et très belle, leur couleur change, il y a homme et femme, noirs, bien noirs, mulâtres, créoles et enfin d'autres presque blancs. Les noirs ont presque tous de grosses lèvres. Les femmes font à bord le commerce de blanchisserie, d'autres celui des fruits, oranges, bananes, ananas, puis elles vendent aussi du tabac de France. Je donne quelques morceaux de linge à laver. Fort de France où nous avons jeté l'ancre est au fond d'une baie, de la rade la ville est jolie. Le croiseur "Descartes" est en rade ainsi que le croiseur cuirassé "Condé", puis quelques cargos. Les petits voiliers guidés par les noirs ne manquent pas. Les permissionnaires vont à terre de 13 h à 19 h. Il fait très chaud. A midi 30 les doudous dégagent le bord. Les marchandes de fruits sont nu-pieds et les enfants aussi. Bas les feux à midi, service au mouillage. Le soir quelques grains de pluie tombent, c'est pire que les giboulées, les gouttes sont très larges et la pluie est presque chaude le vent commence à souffler vers 22 h et toujours accompagné de pluie, c'est la saison des pluies. Les sabords sont ouverts toute la nuit depuis l'arrivée au mouillage et les batteries sont un peu plus fraîches, aussi l'équipage trouve-t-il bon de se reposer, moi le premier. Le Commandant paie le double aux personnels mécaniciens, chauffeurs et soutiers pour l'endurance et l'entrain pendant la traversée.

 Marseillaise martinique

La "Marseillaise" en rade de Fort de France

Le 20 janvier 1916.

A 5 h 1/4 branle-bas, poste de lavage à 6 h 1/4. Hier j'ai oubli‚ d'écrire que depuis le départ de Brest nous n'avions pas hissé les couleurs et hier à 8 h le matin avec la garde les couleurs ont été envoyées. Elles ont été hissées en vue de la terre dès le matin et amenées le soir à 17 h 30 sous le commandement du "Condé", chef de rade. Alors donc le 20 janvier service de rade, les couleurs à 8 h et le soir au coucher du soleil. Les doudous viennent à bord à 10 h 30 et repartent à 12 h 30. Le soir elles reviennent à 16 h 30 jusqu'à 18 h, hier elles sont revenues le soir comme aujourd'hui. Le vent est moins fort qu'hier mais il y a des grains toute la matinée, beau l'après-midi. Le gouverneur de la Martinique vient en visite officielle à bord vers 10 h du matin. A midi pendant que les doudous vendent leurs fruits à bord, des jeunes nègres plongent sur des sous que l'équipage s'amuse à leur jeter. C'est bien rare quand ils manquent d'attraper la pièce de monnaie, se sont des nageurs excellents. Depuis l'arrivée dans l'île je remarque une montagne dont le sommet ne m'est pas encore apparu, les nuages sont tellement bas qu'ils la cachent, cette montagne est au-dessus de Fort de France. La nuit a été pluvieuse, j'ai mis du linge au sec pour la quatrième fois et il est plus mouillé qu'hier soir. Les permissionnaires ont été à terre par division de 13 h 45 à 18 h 45, comme hier, beaucoup disent que le pays est très joli.

 

Le 21 janvier 1916.

Le branle-bas à 5h 15, briquetage de bancs et tables et lavage de linge. Il pleut encore ce matin. Les doudous viennent à bord à 10h45 et repartent à 12h45. Il leur est défendu de vendre des poissons cuits ou viande quelconque, les crabes et langoustes qui ne sont pas vivantes sont défendus aussi. Le "Condé" charbonne aujourd'hui. La pluie est moins apparente à partir de 13h. A 13h45 permissionnaires jusqu'à 18h45. La nuit est belle, pas trop de pluie. Il fait bon dans les batteries. Je suis de quart aux treuils aujourd'hui. Les doudous reviennent le soir à 16h30 et repartent à 18h.

 

Le 22 janvier 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Je suis levé depuis 4 h pour le service. Changement de grands effets, 9 h 45 inspection du Commandant en blanc avec bonnet et coiffe. Il pleut toute la matinée, l'après-midi se passe sans avoir trop d'eau. Les permissionnaires partent à 13 h 45 toujours par divisions. Le soir je fais connaissance avecune blanchisseuse qui me propose de me faire visiter le pays quand j'irai à terre lundi, j'accepte et nous échangeons les adresses.

 

Le 23 janvier 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Il a pleut toute la nuit. La matinée est mouillée également. A midi j'apprends que les équipiers de football de la "Marseillaise" doivent se mesurer avec une équipe de Fort de France dans l'après-midi. A 13 h 45 permissionnaires par divisions. L'équipe de sports va à terre, moi en faisant partie je descends aussi. Le match a lieu à 16 h, je visite un peu la ville avant d'aller jouer. Je vais chez ma conquête de la veille, c'est une créole, très belle, tout se passe pour le mieux. A 15 h 30 je suis au rendez-vous des équipiers sur la place de la Savane. La place est très jolie mais pleine d'herbes. A 16 h précises nous nous mesurons avec l'équipe "intrépide" de Fort de France, le terrain de football est mauvais, il y a beaucoup d'herbes assez hautes et aussi beaucoup d'eau. L'équipe se compose de noirs et créoles, leur jeu est joli, ils ont un jeu souple et vif, beaucoup en l'air, nous, nous sommes trompés par l'herbe, car notre jeu habituel est à ras de terre. Le match se dispute sans discorde et est nul par 1 but à 1. La galerie est nombreuse au tour du terrain et applaudi autant une équipe que l'autre. Nous nous changeons à l'hôtel et nous nous dispersons. Je vais dîner avec ma compagne et rentre à bord à 19 h 45, comme les permissionnaires.

 

 La savane

La Savane

 

Le 24 janvier 1916.

Branle-bas à 4 h L'équipage prend la tenue de charbon pendant le déjeuner. Embarquement de charbon à bord, 600 tonnes, je suis exempt aujourd'hui mais je vais le long du bord pour la réparation du linguet, toute la journée j'ai les pieds dans l'eau et je ne suis pas mieux que ceux qui sont dans les soutes. Pas de permissionnaires aujourd'hui sauf … 20 h les permissionnaires du pays, car hier il à été embarqué 34 noirs ou créoles pour le service du bord. C'est des hommes qui vont à terre aujourd'hui car la plupart habitent Fort de France. Ces hommes ont la permission de nuit. La pluie est tombée toute la matinée mais pas l'après-midi. La nuit il n'y a pas eu trop de pluie non plus.

 

Le 25 janvier 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Embarquement de charbon, 400t, toujours par les moyens du bord. Ce charbon est chaud et brûle, dans les soutes il dégage une forte température. La pluie ne tombe pas ce matin, c'est assez curieux. Hier il est arrivé un courrier de France et reparti pour Colon. A 11 h le "Condé" appareille et part pour la France. A bord on lui rend les honneurs. A midi la montagne qui se trouve au-dessus de Fort de France apparaît enfin sans nuage. Le charbon se termine à 14 h. Corvée de peinture, aussitôt le charbon terminé, peinture générale. Les doudous viennent à bord comme d'habitude. Aujourd'hui je suis de quart et je coupe aux deux corvées. Beau temps l'après-midi. La nuit se passe sans pluie. Depuis que les sabords sont ouverts la nuit il fait bon se reposer dans les batteries. Pas de permissionnaires aujourd'hui sauf à 17 h les gens du pays.

 

Le 26 janvier 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Peinture générale dès le petit jour. L'équipage prend la tenue de peinture pendant le déjeuner. Je suis toujours occupé au linguet de tribord. La matinée se passe sans pluie. Il fait très chaud aujourd'hui. La tenue sur le pont est avec le casque, obligatoire. Le courrier français partant pour la France, part à 15 h. C'est le paquebot "Venezuela" de la compagnie générale transatlantique. L'après-midi est beau, un grain tombe vers 18 h. Permissionnaires de la première division à 16h jusqu'à 18 h 45. A la machine on met bas l'ouvrage à 17 h 45. A 18 h 45 branle-bas. La nuit est sans pluie. J'entends des gazettes à l'appareillage. La peinture est terminée. Il y a des corvées dans le port. Les permissionnaires du pays découchent comme d'habitude.

 

Le 27 janvier 1916.

Branle-bas à 4 h 30. A 5 h 30 postes de lavage et travail, les corvées désignées, vivres et combustible vont à terre, dispositions d'appareillage. A 6h on allume les feux, 10h appareillage, la terre est à droite, les machines tournent 85 tours. Le "Descartes" est toujours en rade de Fort de France. Aujourd'hui pour la première fois, je fais le quart à la mer depuis mon départ de France. Le temps est beau, pas trop de vent, les poissons volants sont nombreux. Oh! aussi, les doudous sont venues à bord jusqu'à ce que le bateau appareille. Je suis du 2ème quart et le fait dans la machine tribord au registre, 14 h à 17 h puis 24 h à 3 h. Le bateau roule un peu, l'eau embarque par moment. Vers midi on voit toujours la terre de la Martinique et aussi l'île Dominique plus à droite.

 

Le 28 janvier 1916.

Le branle-bas est fait à 6h. Il n'a pas fait trop chaud dans les batteries, cependant les sabords étaient tous fermés. Très peu de vent mais assez de houle. Le bateau roule beaucoup, la lame est par tribord arrière. Tribordais disponible de la machine arrière. Tribordais disponible de la machine changent et lavent leur hamac, briquetage de bancs et tables, lavage de linge et des grands sacs. Je suis disponible jusqu'à 11h et lave mon hamac. L'heure a été retardée de 18 minutes hier à 11 h. A midi aujourd'hui elle est retardée de 24 minutes. Depuis le jour un vapeur est en vue par bâbord avant. A 9 h il est très peu loin de la "Marseillaise". A bord on lui signale de donner son numéro avec les signaux internationaux, il ne répond pas, ensuite il est sommer de stopper avec les signaux internationaux toujours rien, puis nous lui barrons la route. Il s'arrête aussitôt qu'il aperçoit les derniers signaux. C'est le cargo norvégien "Sckothad" de Cristania, cargo assez fort. Nous stoppons, une baleinière de sauvetage avec son armement, muni du revolver un officier part perquisitionner à bord du cargo étranger. Il est 9 h 30, à 10 h 15 le cargo est délibéré, la baleinière revient et nous appareillons de nouveau. Toujours la même allure. Les sabords de bâbords sont entrouverts, un sur deux seulement, mais au milieu seulement. Le casque est obligatoire depuis hier à 8h le matin. Il est aussi interdit de porter des sabots sur le pont. Beau temps l'après-midi, toujours de la houle. Je suis de quart de 11 h à 14 h et de 19 h à 24 h. Les poissons volants ne manquent pas je les vois par bandes de plusieurs dizaines. A 15 h l'allure est augmentée, un bateau est en vue par bâbord. C'est un bateau à vapeur. Il porte le pavillon américain il est peint en blanc. C'est un genre de bateau de plaisance. Nous passons très près de lui mais ne l'arrêtons pas. La nuit est chaude dans les batteries, les sabords ne sont pas ouverts cette nuit, je ne peux pas me reposer comme il le faut, pourtant je suis fatigué.

 

Le 29 janvier 1916.

Le branle-bas à 6h, peu de vent, le linge que j'ai lavé hier soir est déjà sec, la nuit s'est passée sans avoir eu de pluie. Je suis de quart de 7 h à 11 h et de 17 h à 21 h. Il fait chaud dans les machines et dans les batteries aussi. Les sabords ne sont ouverts que très peu à cause du roulis. La mer est belle mais houleuse dans les Antilles comme dans la mer des Sargasses et l'océan atlantique. A midi l'heure est retardée de 27 minutes. Beaucoup d'hommes de l'équipage ont attrapé la diarrhée, le nombre est monté jusqu'à 160 aujourd'hui, moi je ne sens rien encore. Cette maladie est due au changement de température du jour et de la nuit, tous les hommes ont touché des ceintures de flanelle mais tous ne les portent pas, c'est aussi en buvant beaucoup d'eau car l'eau que nous avons à bord est tiède, très nombreux aussi sont ceux qui se couchent sur le pont, il y fait certainement bon à l'ombre, il fait plus frais que dans les batteries, mais le mal se déclare vite aussi. Il y à faire attention contre ces maladies car elles peuvent entraîner la mort aux colonies. Vers 13 h un grain est passé, il a beaucoup rafraîchi la température mais pour une heure seulement. Beau temps le reste de la journée. Le soir à 20 h l'allure est diminuée de 86 tours à 72 tours. A minuit l'allure est de nouveau diminuée de 72 tours à 62 tours.

 

Le dimanche 30 janvier 1916.

Je suis réveillé à 2 h 45 pour prendre le quart de 3 h. De 3 à 7 h je suis de quart. La nuit a beaucoup rafraîchi les machines, il fait beaucoup moins chaud qu'hier dans mon quart de 17h à 21h, mais dans les batteries il fait tellement chaud qu'il n'y a pas moyen de dormir. A 6 h 15 on stoppe pour prendre un pilote, puis un quart d'heure après nous repartons. Jusqu'à 7 h nous manœuvrons. Enfin nous arrivons au mouillage à 8 h. On accoste à un appontement comme c'est défendu de monter sur le pont je m'abstiens jusqu'à 10 h, le clairon sonne le dégagement du poste de mouillage et je monte prendre un peu d'air. A 3 h en montant mon hamac aux bastingages, j'aperçois plusieurs feux fixes qui tournent par tribord. Nous sommes en rade de Kingston ou nous venons de nous amarrer, il y a plusieurs bateaux. En outre un croiseur anglais battant pavillon amiral. Il y a beaucoup de bateaux de commerce. Le port de Kingston est très grand, c'est le plus important de L'île de la Jamaïque. La distance de Fort de France à Kingston est de 976 milles marin (1 mille =1852 mts) nous l'avons franchi en 70 h exactement du mouillage au mouillage. Il fait plus chaud qu'à la Martinique. Les abords de Kingston sont très plats, même la côte sur une bonne distance mais les terres sont très montagneuses. Derrière la ville il y a deux vastes chaînes de montagnes. Le pays a l'air très beau. Le long des quais il y a une station électrique et une station de tramways électriques, il y a aussi beaucoup de petits carrosses attelés de chacun un petit cheval. Tout le long des quais derrière la première rangée de maison il y a des cocotiers qui font voir leur tête par-dessus les toits. La majeure partie des maisons appartienne à un style presque Égyptien. Comme à Fort de France les noires viennent vendre des fruits, se sont les mêmes et valent à peu près le même prix. Il y a une différence avec les doudous de Fort de France c'est que celles de Kingston ne parlent pas français, c'est la langue anglaise qui se parle, c'est juste puisque c'est une colonie anglaise. C'est très difficile de les comprendre, moi je ne connais pas l'Anglais, je ne les comprends pas sauf quelques mots, comme le nom des fruits et leur prix, ainsi que l'énumération de la monnaie, car la monnaie française n'a pas cours ici. Les doudous sont venues à bord à 10 h 45 et repartis à 12 h. Elles sont mieux vêtues que celles de la Martinique, un peu sur le même système mais plus richement quoique les mœurs paraissent les mêmes. Des négrillons se baignent par tribord car nous sommes accostés par bâbord dans le sens longitudinal. A 14 h permissionnaires de 1ère division à terre jusqu'à 19 h. Le vaguemestre prévient qu'un courrier pour la France partira demain. Le branle-bas a été fait à 5 h ce matin. A 13 h on levait l'équipage aux sacs, les jeux sont permis, depuis le début de la guerre les jeux n'étaient pas permis, cela semble drôle qu'on les autorise. Les doudous viennent à bord le soir à 17 h et repartent à 18 h. Les sabords restent ouverts toute la nuit, il fait meilleur pour dormir, comme j'ai nuit franche j'en profite.

 

Le lundi 31 janvier 1916.

Le branle-bas à 5 h à 5 h 45 embarquements de charbon par les noirs du pays- 400 tonnes de charbon cardiff. Les noirs du bord sont comme surveillants avec quelques quartiers maîtres chauffeur. C'est rigolo de voir hommes et femmes faire l'embarquement du charbon. Ils le transportent du parc à charbon à bord dans des mannes qui pèsent en moyenne 35 kgs, ils portent ces mannes sur la tête et touchent un sou par manne, la distance du parc à bord est d'environ 400 mts. Jusqu'à 13 h leur manège à marcher puis ils sont allés manger. A 13 h 30 il y en avait qui reprenait le travail, enfin à 16 h tout était fini. Lavage en grand du bâtiment et bas l'ouvrage à 17 h 45. Une équipe est employée à laver le quai. L'équipage est monté manger sur le pont à midi. Les tentes sont étendues et roulées matin et soir chaque jour au mouillage. A la Martinique ça se faisait aussi. Un paquebot anglais arrive vers 18 h 30. Je ne peux voir son nom. Les sabords sont toujours ouverts jours et nuits au mouillage. Il fait frais dans les batteries la nuit. Il y a eu permissionnaires, 2ème division de 14 h à 19 h. Le soir je reste sur le pont jusqu'à 21h, je vois dans l'eau des poissons qui nagent, ils sont comme blanc et dégagent beaucoup de phosphore. Il fait un temps très calme en rade. Le mouvement de la rade est assez grand. Dès le matin à 7 h 30 le remorqueur américain "Relief" de New-York arrive et accoste au même appontement que nous mais de l'autre bord. Il charbonne et fait un fort lavage. Le cargo norvégien "Jose" de Christiania arrive à 10 h avec un chargement qui semble être de la farine, il accoste à l'autre appontement. A midi un grand paquebot anglais quitte la rade, je ne peu voir son nom, il salut et part. A 15 h un courrier anglais arrive avec la poste prend le courrier et part pour la France par New York à 21 h.

 

 

Date de dernière mise à jour : 14/09/2020

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