Mai 1916

Le lundi 1er mai 1916.

Aujourd'hui je devrais être à boire du lait de mai et je suis ici à me faire ballotté par la mer. Branle-bas à 6 h. Un bœuf est abattu ce matin. Lavage de linge par bordée, je lave quelques morceaux car je suis en retard sur le linge. J'ai le quart de 7 h à 11 h à la machine à glace. A 7 h 15 un vapeur est signalé par la vigie. Vers 7 h 30 on peut le voir à l'œil nu. Il parait s'enfuir devant nous. A 8 h il est environ à 5 milles, nous lui signalons de stopper, il a l'air de se moquer de notre avertissement, il fait route devant nous et bonne allure, nous avons augmenté la vitesse. A 9 h 15 nous tirons un coup de canon à blanc, les signaux internationaux sont toujours à bout de drisses, il ne stoppe pas. 10 minutes se passent puis un deuxième coup de canon à blanc est tiré. Cette fois il stoppe. Nous l'arraisonnons, la baleinière va à bord. Ce cargo porte les couleurs américains. Il est part tribord quand il est stoppé. Un petit 3 mâts est aussi par tribord assez loin de nous. Vers 8 h 30 nous avons rencontré une île isolée par bâbord, elle est petite et peu haute. Elle dépend de Porto Rico. Vers h la terre est en vue par tribord, c'est l'île Mona on croirait voir les falaises qui bordent la Manche dans le nord. Il y a quelques petites îles qui se détachent de cette terre, elle est plate et comme taillée, très peu haute. Du cargo américain je n'ai pas pu voir le nom pourtant il n'était pas très loin de nous mais je suis de quart. Il est 10 h quand la baleinière revient. Quand elle revient, elle est suivie d'un requin qui vient jusqu'au long du bord, quand la baleinière est hissée à ses portes manteaux ce requin va sur l'arrière. Nous lui tendons une ligne à laquelle il se fait prendre après avoir tourné 25 minutes autour, nous l'embarquons à bord. Il est 10 h 30 quand nous repartons. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre en robe, petit beurre et jus. Les vents sont descendus tout d'un coup vers midi à 13 h, il vente fort dans l'après-midi. La terre est en vue par tribord jusqu'à 14 h 30. Il y a toujours de nombreux exercices pour les hommes du pont tel que instructions de combat, exercice par tranche de combat etc... La terre se distingue mal par bâbord, dans l'après-midi c'est l'île Porto Rico. L'heure est avancée de 16 minutes. J'ai le quart de 17 h à 21 h. Ce soir ragoût de bœuf fayots rouges, nouilles à l'eau. Le vin a reçu un baptême désinfectant contre les épidémies. Il fait chaud dans les batteries je souffre pour me reposer la nuit.

 

Le mardi 2 mai 1916.

J'ai le quart de 3 h à 7 h, je suis réveillé à 2 h 45. Au petit jour j'aperçois la terre par tribord, c'est l'île Alta Vela. Devant il y a un rocher en forme de dos de chameau. Il fait de grands vents ce matin et ils viennent par tribord. Nous tournons plusieurs fois car les vents changent de direction. Le soleil s'est levé avant 6 h à l'heure d'hier. A 6 h branle-bas, douches pour l'équipage. Un bœuf est abattu ce matin. Ce midi rôti de bœuf, fayots, biscuits et jus. Dans l'après-midi tir à la mitrailleuse en pleine mer. J'ai le quart de 14 h à 17 h. Ce soir ragoût de bœuf aux macaronis, riz au four. La terre est en vue par tribord, c'est St Dominique ou Haïti. Les vents sont disparus presque totalement vers midi, la mer qui menaçait d'être méchante ce matin est redevenue plus calme jusqu'à la nuit. Les vents se remettent à souffler vers 21 h et la mer est de nouveau turbulente. Je me couche très tard je ne puis étaler dans les batteries, il est presque minuit quand je descends, j'ai le quart de minuit à 3 h mais la machine à glace ne marche pas, j'ai donc nuit franche.

 

Le mercredi 3 mai 1916.

Branle-bas à 6 h. Depuis 4 h je suis levé et me promène sur le pont. Je ne puis plus résister dans les batteries, si ça continue je crois bien que tout ce qui me reste de graisse va fondre. Je vois un feu par tribord. Dès le petit jour j'aperçois la terre, c'est la Jamaïque. A h nous jetons l'ancre en rade de Kingston. Un bœuf a été abattu ce matin. Nous croisons un voilier en rade, ce voilier porte les couleurs italiennes, vert, blanc, rouge dans le sens vertical. Il y a un point dans le blanc du pavillon mais je ne peux le voir. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre en robe sardines à l'huile que l'on ne peut pas même sentir et jus. Depuis l'arrivée au mouillage la chaloupe fait le trafic d'eau douce, elle sert de citerne et fait le va et vient entre un appontement et le bord. Ce manège dure jusqu'à midi. Service au mouillage. Je suis de service aux treuils. Travaux divers à l'atelier. Ce soir après les treuils je lave quelques morceaux car je suis passablement à la traîne. Ce lavage de linge improvisé est naturellement fait à la belle étoile. Enfin c'est la guerre qui le veut. Permissionnaires 4ème division de 16 h à 20 h. Ce soir nous avons eu du ragoût de bœuf, fayots rouges, bananes. Tous les sabords de la batterie haute sont ouverts et une partie de la batterie basse, mais il fait chaud malgré tout. Encore 169 h 30 de mer.

 

Le jeudi 4 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Un bœuf est tué ce matin. Je suis réveillé à 4 h pour le service des treuils. Je passe la visite pour des douleurs dans les oreilles, j'ai des bourdonnements continus dans les oreilles. Ce midi ragoût de bœuf macaroni riz à l'eau et jus. Transport de l'eau comme hier au moyen de la chaloupe. A 13 h 30 paiement de l'équipage. Je touche une livre sterling et 8 florins, la livre est évalué 28 F 40. Permissionnaires 1ère division de 16 h à 20 h. Exercice pour les hommes du pont et les équipes de sécurité, je vais à l'école de tuyautage de 14h30 à 15h30. J'ai rasé mes moustaches pour me faire photographier à terre, je descends à terre avec un copain et nous faisons une petite excursion dans Kingston et ses alentours. Nous ne mangeons pas à terre car la vie coûte trop cher, nous achetons quelques boites de conserves en faisant d'autres achats puis nous mangeons sur le pont en entrant à bord. J'ai vu la caserne des pompiers et bien des curiosités tels que dans les jardins publics mais je n'ai pas le temps de l'écrire aujourd'hui. Changement de hamac pour les deux bordées. Il fait toujours très chaud dans les batteries, cependant les sabords sont ouverts jour et nuit aussi c'est la raison pourquoi tous les soirs je me couche très tard, je ne suis pas le seul. A 21 h au mouillage le clairon sonne l'extinction des feux. Dans l'après-midi un voilier est rentré en rade, c'est un trois mâts. Son mât arrière a été cassé au milieu par la tempête. Je ne sais de quelle nationalité il est.

 

Le vendredi 5 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Lavage de linge et des hamacs, briquage de bancs et tables. Je lave mon hamac et c'est tout pour ce matin car je sens que le courage ne me préparera pas de surprises. Ce midi rôti de bœuf riz au gras, bananes et jus. Il fait du vent presque toute la journée et la rade est agitée. Transport d'eau douce toute la journée et toujours au moyen de la chaloupe. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, riz au lait. Les vents sont disparus et il fait beau ce soir, la rade est un peu plus calme que dans la journée. Je reste très tard sur le pont. Permissionnaires 2ème division de 16 h à 20 h. Il fait un peu plus frais cette nuit que d'habitude.

 

Le samedi 6 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Changement de grands sacs, inspection du commandant à 9 h 45. Décorations. Il y a un décoré de la croix de la légion d'honneur et quatre médaillés militaires. Je suis exempt d'inspection ainsi que tout le personnel de l'atelier. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre en robe, bananes et jus. Permissionnaires 3ème division, équipe de foot à terre de 14 h à 18 h. Je ne descends pas parce que j'ai le pied gauche enflammé. Vers midi on embarque deux bœufs. Je suis obligé de travailler cet après-midi de 14 h à 17 h. Le vaguemestre affiche un avis, un courrier pour la France par via New-York doit partir aujourd'hui. Je descends au travail après avoir mangé car les feux sont allumés à 17 h et ce travail presse vu qu'il est pour une machine. Le 2ème quart est d'allumage, 17 à 21 h. Un permissionnaire apporte mes photos de terre. Ce soir ragot de bœuf fayots, confitures. Les doudous viennent à bord jusqu'à 18 h 45. Dispositions d'appareillage. A 20 h nous appareillons pour aller à l'appontement. A 20 h 30 nous sommes accostés, aussitôt embarquement de charbon par les noirs du pays, 300 tonnes sont embarquées. A 1 h 30 le 7 tout est fini et nous appareillons. Tout l'équipage est resté dormir sur le pont pendant l'embarquement du charbon, comme juste raison moi aussi j'ai tendu mon hamac au clair de lune. A 3 h je suis réveillé, la machine à glace ne tourne pas, je profite pour descendre dans les batteries, car sur le pont il y a du vent et de l'escarbille, nous marchons à bonne allure.

 

  Poussier3

Kingston le 6 mai 1916

 

Le dimanche 7 mai 1916.

Le branle-bas est sonné à 8 h. Depuis 6 h je suis levé. A cette heure la terre ne parait déjà plus d'aucun bord, nous marchons bonne allure. Je passe toujours la visite pour mes oreilles. Ce midi, singe fayots rouges, bananes et jus. J'ai le quart de 14 h à 17 h. La machine tourne tantôt. Ce soir lard bouilli pommes de terre, nouilles à l'eau. La compagnie de débarquement est prévenue de préparer les sacs de campagne pour descendre à terre demain. La mer est assez belle quoiqu'il y ait du vent. Pas besoin de l'écrire, tous les sabords sont fermés mais il ne fait pas chaud comme certaines nuits. Il ne fait pas froid non plus.

 

Le lundi 8 mai 1916.

Je me lève à 4 h pour laver quelques morceaux de linge. Branle-bas à 6 h. Quand il fait jour je vois la terre par bâbord. Je passe toujours la visite pour les oreilles. A 9 h 30 on sonne le poste de mouillage, nous sommes en face de Santo Domingo, capitale de St Domingue. Un navire américain se trouve mouillé en rade près de nous. Nous sommes près de terre. Un deuxième navire américain se trouve au fond et à gauche de la rade ces deux navires sont ceux qui étaient à Port-au-Prince quand nous sommes passés par là. La santé vient à bord, puis il y a échange de visites à bord des navires. A 11 h 30 un cargo battant pavillon américain s'échoue à l'entrée du port en voulant entrer. Je le vois rouler bord sur bord et son hélice battre en arrière à toute allure. Après un instant il réussit à se dégager seul. Je mange aux rations, j'ai le quart de 11 h à 14 h, un bœuf a été abattu ce matin. Ce midi, ragoût de bœuf fayots rouges, sardines à l'huile et jus. Les sardines sont comme les dernières qui nous ont été servies, elles ne sont pas mangeables. A 13 h nous appareillons pour changer de mouillage. A 13 h 30 nous mouillons de nouveau. Nous nous sommes écartés un peu de la terre. La compagnie de débarquement ne va pas à terre. La ville de Santo Domingo est assez étendue, je ne vois que quelques voitures ou automobiles, il n'y a pas grand monde pour avoir une révolution à terre ce n'est pas mouvementé. En tous points de la ville, sur tous les bâtiments des nations étrangères flotte le pavillon de chaque nation. Il y en a au moins une huitaine. En outre le pavillon boche qui flotte au milieu d'une plantation de cocotiers sont d'une taille plutôt exagérée, c'est peut-être pour nous narguer. A 16 h un trois mâts américain arrive en rade. La santé va à bord. A 17 h un cargo norvégien sort du port et salue en passant. Quelques minutes après j'assiste de loin à la pêche d'un requin à bord du navire américain au près duquel nous sommes mouillés. Ce soir ragoût de bœuf pommes de terre riz au lait. Messieurs les officiers vont à terre à 16 h, mais ils ne peuvent rentrer à 22 h vu que le port est fermé, le vapeur ne sachant pas la consigne essuie des coups de fusils tirés par les factionnaires du fort qui garde le port. Les coups de feu ont été tirés à blanc mais le vapeur à dû faire demi-tour et les officiers sont restés à terre. Tous les sabords sont fermés cette nuit, et il fait chaud dans les batteries. Encore 36 h de mer.

 

Le mardi 9 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Lavage de linge et des grands sacs, briquage de bancs et tables. Pendant le repos nous faisons le service en trois quart et la journée chacun son poste. Ce midi singe riz au gras, confitures et jus. Le "Melbourne" arrive vers 10 h. Un transport américain est arrivé avant 8 h. Tous deux mouillent dans notre entourage. Dans la matinée, presque aussitôt après avoir monté les tentes sur le pont, un espèce de cyclone arrive avec fureur. De suite les tentes sont amenées, la pluie tombe à torrents, il vente très dur et il fait sombre. L'orage se mêle un peu de la fête le matin mais ce n'est rien. Ce soir lard bouilli pommes de terre, fayots rouges à l'huile. Le "Melbourne" appareille à 17 h 45. La machine centrale tourne à plusieurs reprises pour étaler la lame car il fait très mauvais, nous pourrions chasser sur l'ancre et partir à la côte. C'est rigolo, nous comme tous les navires qui sont mouillés en rade, nous tanguons et roulons bord sur bord. A terre quand la lame se brise sur les rochers qui bordent la côte, cela fait des gerbes d'au moins 15 mètres. J'ai le quart de 17 h à 21 h. Vers 18 h il se déclenche un orage phénoménal. La pluie qui n'a pas cessé de tomber de la journée rebiffe que de plus en plus intense. Cette fois-ci le tonnerre gronde dure, la foudre est tombée sur une pointe de terre qui encercle la rade où nous sommes mouillés. Cet orage dur jusqu'au lendemain matin, il a cessé avec la pluie vers 2 h. Dans la soirée il entre en rade un cargo américain. Je ne puis pas dormir de la nuit, j'ai l'oreille droite qui me fait terriblement souffrir, aussi je suis distrais par les éclairs de l'orage. Le pavillon du pays est ainsi: bleu, blanc, rouge sur une bande transversale, une bande blanche transversale, rouge blanc bleu sur une bande transversale. Autrement dit, deux rectangles bleus en diagonales et deux rectangles rouges en diagonale, séparés d'une simple croix blanche de mi-largeur des rectangles bleu et rouge. Ce pavillon flotte à plusieurs endroits sur la ville.

 

Le mercredi 10 mai 1916.

Branle-bas à 6 h. Je suis réveillé à 3 h pour prendre le quart à la machine à glace. La mer est encore très houleuse et toute jaune. Elle emmène d'innombrables épaves avec le courant. Depuis le jour cela ne fait qu'un passage continu d'épaves de toutes sortes que la mer charrie et depuis toute la nuit sans doute. Ces épaves on dirait qu'elles sortent d'un fleuve qui doit avoir son embouchure dans l'entrée du port. Le courant est très fort. Un bœuf est abattu ce matin. Ce midi bœuf rôti purée, sardines à l'huile et jus. Les sardines sont comme les précédentes, immangeables. Il pleut encore aujourd'hui, ce midi il fait de l'orage mais qui est moins fort qu'hier. Un courrier américain prend la correspondance pour la France par via New-York, ce courrier est annulé. Nous sommes toujours sous les feux et nous faisons le service en 3 quarts à bord, la nuit seulement et le jour au travail chacun son poste. Ce midi bœuf rôti purée, sardines à l'huile et jus. Ce soir ragoût de bœuf aux nouilles riz au four. Un petit voilier accoste à la rade à 17 h. A l'horizon un vapeur semble s'avancer vers nous. A 18 h il arrive en rade, c'est un transport américain chargé de troupes. Il mouille l'ancre près des autres navires qui se trouvent en rade. Ce transport à 3 mâts et la T.S.F. Entre les deux mâts avant. Le transport qui est arrivé hier matin à transbordé les troupes qu'il avait à son bord sur le navire américain qui semble être un croiseur auxiliaire et part dans la soirée. Les sabords sont presque tous ouverts cette nuit, il fait bon dans les batteries mais je ne puis toujours pas dormir avec mon mal d'oreilles.

 

Le jeudi 11 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. La mer est encore jaune et un peu houleuse elle charrie toujours des épaves. Nous mettons bas les feux ce matin. Service au mouillage. J'ai le quart de 11 h à 14 h à la machine à glace. Ce midi ragoût de bœuf, fayots rouges, nouilles à l'eau. Travaux divers à l'atelier. Ce soir singe purée, riz à l'eau. Je mange aux rations pour la machine à glace ce soir. Un petit voilier entre en rade à la tombée de la nuit. Une canonnière Dominicaine entre dans le port à 19 h. Le navire américain braque un projecteur dessus et envoie un vapeur à sa poursuite pour lui faire demi-tour parce qu'elle n'a pas salué en passant mais la canonnière est entrée dans le port avant que le vapeur ait pu l'atteindre. Je me couche très tard car je ne puis dormir. Je suis réveillé dans la nuit pour une manœuvre au cabestan, cette manoeuvre n'a pas duré bien longtemps. Les sabords sont ouverts cette nuit, il fait bon dans les batteries. Le chahut a presque totalement cessé à terre. Le pavillon blanc à flotte sur la citadelle dans l'après-midi.

 

Le vendredi 12 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Je suis réveillé à 3 h 30 pour assurer le service à la machine à glace jusqu'à la mise au travail. Un vapeur est entré cette nuit. Le yack américain sur lequel est L'Amiral arrive vers 6 h et mouille en rade. Inspection du commandant à 8 h 45. La tenue est en blanc avec casque. Je suis exempt ainsi que le personnel de l'atelier. Je passe toujours la visite pour mes oreilles. La mer est houleuse et jaune. Ce midi singe riz au gras, sardines à l'huile. Les embarcations sont disposées pour embarquer les émigrés de terre au cas ou les Américains bombarderaient la ville. Ces dispositions sont prises depuis hier. Un radeau est installé sur le pont, paré à mettre à l'eau à la première alerte. Il est construit avec les buts sur lesquels on fait les tirs, deux buts l'un sur l'autre et allégés avec des barriques vides. A 13 h un torpilleur américain arrive et stoppe en rade. C'est le n° 27, il a 3 cheminées et ressemble au type Français, "Capitaine-Mehel". Ce torpilleur repart à 15 h 30. Le transport qui a trois mâts change de mouillage et va à gauche de la rade, là il débarque les troupes qu'il a à son bord. Les chaloupes des autres navires américains qui se trouvent ici servent pour le transbordement du transport avec la terre. A bord il est improvisé des lits de camp et de fortune pour recevoir les réfugiés. La salle d'armes et les chambres disponibles sont installées pour.

 

Le samedi 13 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Je passe la visite pour mes oreilles. Je suis de service aux treuils aujourd'hui. Ce midi singe purée, nouilles à l'eau. Le premier navire américain appareille dans l'après-midi. Le courrier américain qui est arrivé depuis quelques jours est dans le port. L'Amiral Américain est venu à bord quelques instants avant que le premier navire appareille. A plusieurs reprises je vois des petits thons par bancs, ils viennent le long du bord à dix mètres au plus. L'eau est toujours jaune. Ce soir ragoût de porc fayots rouges riz à l'eau. Il vient neuf réfugiés à bord en deux fois, ils viennent par le canot à vapeur du bord. Il y a cinq hommes, trois femmes et un enfant. Un vapeur est en vue à l'horizon au crépuscule. Tous les sabords sont ouverts, il fait bon dans les batteries. Après mon service aux treuils je reste sur le pont pour participer au concert de la bande des lolos. Cette bande se compose des sept copains. Le temps semble moins long et le moment chasse le cafard qui ruine le moral et même la santé. Depuis le 2 avril nous n'avons eu aucun courrier de France, cela semble long un peu, le service qui se fait à bord n'amoindrit pas nos peines aussi il faut chasser les idées noires. Les lolos essaient de le faire, je souhaite qu'ils réussissent.

 

Le dimanche 14 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Depuis 4 h je suis levé pour le service des treuils. Dans la matinée le navire américain qui est appareillé hier tantôt est de retour et mouille au même endroit, il est environ sept heures. Ce midi singe purée, sardines (marque américaine) à l'huile de colza. Je commence ma semaine de plats, encore une semaine de misère. J'ai le quart de 11 h à 14 h, à la machine à glace. Le paquebot français "Abdel-Kader" est entré en rade vers 13 h, il mouille pas très loin de nous. Hier Messieurs les officiers sont allés à terre de 15 h à 18 h 30. Les mécaniciens et chauffeurs de bâbord ne mettent pas à l'ouvrage l'après-midi et ce matin tout le personnel met bas l'ouvrage à h, naturellement sauf les hommes de quart. A 14 h l'équipage aux sacs, les jeux sont permis. Le navire américain qui est rentré ce matin appareille dans la soirée. Son nom c'est "Prairie" "Abdel-Kader" appareille à 18 h 45. A 19 h nous allumons les feux. Le 1er quart est d'allumage 17 h à 21 h. A 21 h 30 appareillage. Nous partons en tournant 40 tours car toutes les chaudières ne sont pas en communication, nous augmentons progressivement jusqu'à 65 trs. Tous les sabords sont fermés. Au large il fait à peu près beau, les vents sont faibles. J'ai le quart de 21 h à minuit mais la machine à glace est stoppée. Je reste sur le pont jusqu'à 1 h du matin car j'ai toujours mal aux oreilles et il fait trop chaud dans le hamac.

 

Le lundi 15 mai 1916.

Branle-bas à 6 h. Un bœuf est abattu ce matin, c'est le dernier qui reste à bord. J'ai le quart de 7 h à 11 h, la machine tourne. Il fait beau en mer, les vents ne sont pas très forts et la lame courte et régulière. Ce midi, bœuf bouilli purée, nouilles avec une espèce de pâte comme sauce, sur le menu c'est écrit nouilles à l'Italienne, j'appellerai ça des nouilles à la poînte de colle. Enfin!.. c'est la guerre qui veut ça. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, riz à l'eau. Il fait une chaleur insupportable dans les batteries. J'ai 17 à 21 h.

 

Le mardi 16 mai 1916.

Branle-bas à 6 h. Je suis réveillé à 3 h 30 à 7 h machine à glace. Il fait toujours beau temps en mer. Ce midi singe riz au gras nouilles à l'eau. Tir au tube dans l'après-midi en pleine mer. J'ai le quart de 14 h à 17 h. Ce soir fayots rouges, riz à l'eau. A 19 h l'équipage est prévenu de prendre le collet de sauvetage. Plusieurs chaudières supplémentaires sont allumées et l'allure est sensiblement augmentée sitôt que la pression le permet. Nous tournons 105 tours au lieu de 65. Un danger nous menace, je ne sais lequel. La lune éclaire beaucoup cette nuit et l'horizon se découvre presque que si c'était la lumière solaire. Je ne puis tenir dans les batteries car il fait trop chaud. Je me couche très tard vu que j'ai nuit franche.

 

Le mercredi 17 mai 1916.

Branle-bas à 4 h 15. Nous sommes en face de Fort de France et le jour ne s'est pas encore levé mais il ne tarde pas à poindre. A 6 h nous nous amarrons dans la darse et alors commence la bataille de confettis, 1000 tonnes de charbon sont embarqués par les moyens de la C.G.T. Embarquement d'eau. Le vaguemestre va à la poste et nous rapporte 12 sacs de lettres, il est vrai qu'il y a trois courriers depuis que nous sommes partis. Pour ma part je reçue des nouvelles, de toute la famille. Ce midi singe fayots rouges, bananes et jus. Chacun son poste à 7 h ce matin. J'ai le quart de 11 h à 14 h. L'embarquement de charbon est terminé à 16 h 30. Aussitôt appareillage. A 18 h 30 nous sommes ancrés au poste de carénage. Le "Descartes" est mouillé près de nous et le "Condé" en rade. Permissionnaires 2ème division de 16 h à 20 h. Les doudous viennent à bord. Bas les feux ce soir et service au mouillage. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, bananes. Il fait encore très chaud, 56 h 30 de mer.

 

Le jeudi 18 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Aussitôt après la marche, tout le monde aux tentes, mécaniciens et chauffeurs aux marsouins sur la plage avant, douches et déjeuner. Les mécaniciens et chauffeurs sont sollicités par le commandant en chef et le mécanicien principal en chef du bord pour l'endurance à laquelle ils ont été prouvés depuis notre départ de Fort de France, leur félicitations sont accompagnées de la double en vin, c'est le nécessaire. Ce midi singe haricots rouges, bananes et jus. Travaux divers à l'atelier. Ce soir, ragoût de bœuf fayots rouges, mangues. Permissionnaires 3ème division de 16 h à 20 h. Tous les sabords sont ouverts dans les batteries mais il fait encore chaud la nuit.

 

Le vendredi 19 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Lavage de linge, briquage de bancs et tables. Le "Condé" a appareillé dans l'après-midi d'hier. Ce midi bœuf bouilli, pommes de terre, bananes vertes et jus. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre et mangue. Permissionnaires 4ème division de 18 h à 20 h. Les doudous viennent à bord aujourd'hui comme d'habitude. Il fait encore chaud aujourd'hui.

 

Le samedi 20 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Changement de grands sacs. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre, bananes et jus. Cet après-midi, inventaire de sacs pour les mécaniciens et chauffeurs de la bordée de quart. Permissionnaires 1ère division de 14 h à 18 h. Je vais à terre. Ce soir ragoût de bœuf, riz au four. Le "Pérou" de la C.G.T. est rentré se matin, les "Antilles" de la C.G.T. ce soir à 17 h. Dernière levée pour le courrier de France à 17 h à bord.

 

Le dimanche 21 mai 1916.

Branle-bas à 5 h1 5. Je suis levé depuis 4 h car il fait trop chaud. A 5 h le "Pérou" appareille pour la France. Ce matin bas l'ouvrage à 9 h service machine. Permissionnaires 4ème division de 8 à 11h. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre, bananes et jus. Permissionnaires 2ème division de 14 à 18 h. Équipe de football à terre, je descends à terre faire un peu d'entraînement. Ce soir ragoût de bœuf aux carottes, riz au lait. Changement de hamacs pour les deux bordées. J'ai quitté ma semaine de plats ce matin.

 

 

Equipe foot

Equipe de foot du Croiseur "La Marseillaise"

 

Le lundi 22 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Le "Descartes" appareille et va charbonner dans la darse à 5 h 30. Lavage de linge et des grands sacs, des hamacs, briquage de bancs et tables jusqu'à'à 7 h 45. Vers 10 h 30 le "Descartes" sort de la darse et fait une fausse manœuvre, les courants et les vents le poussent vers nous. Il accoste son avant contre le nôtre et son arrière heurte un rocher. Il réussit à sortir de sa position critique après un petit moment puis il appareille pour mouiller en grande rade. Ce midi bœuf bouilli, pommes de terre, bananes et jus. Ce soir ragoût de bœuf fayots, bananes. Les maux d'oreilles me reprennent encore et me font souffrir, je ne puis dormir de la nuit. Permissionnaires 3ème division de 16 à 20 h.

 

Le mardi 23 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Le "Descartes" appareille ce matin. Je passe la visite ce matin pour les maux d'oreilles, je souffre surtout de la droite. Je suis de service aux treuils aujourd'hui. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre, bananes et jus. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, riz à l'eau. Toute la nuit je la passe sur le pont, le mal d'oreilles ne me laisse pas une minute de repos. Permissionnaires 4ème division de 16 à 20 h.

 

Le mercredi 24 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. J'ai vu toutes les heures de la nuit sous les pâles rayons de la lune ou des étoiles. Le corps de débarquement va à terre faire une marche et rentre à bord dans la matinée. Ce matin à la visite je suis mis exempt de service. Ce midi bœuf rôti, riz au gras, bananes et jus. Je souffre terriblement de l'oreille, je ne puis ouvrir la bouche même pour boire. Cette oreille coule beaucoup, par moment je croirais qu'on me l'arrache tellement elle me fait mal. Permissionnaires 1ère division de 16 h à 20 h. Le "Puerto-Rico" de la C.G.T. rentre dans le port à 6 h. Il vient de France avec le courrier. Dans la matinée nous avons distribution de lettres, pour ma part j'ai des nouvelles de toute la famille. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, fayots blancs à la vinaigrette.

 

Le jeudi 25 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Je suis toujours exempt de service. Aujourd'hui je suis à la diète et purgé. Le paquebot "Antilles" de Fort de France appareille vers midi. A 9 h il y a eu inspection du commandant en second au poste de propreté. Le paquebot "Puerto-Rico" appareille pour Colon vers 17 h. Je passe encore une nuit terrible avec mes oreilles. Permissionnaires 2ème division de 16 h à 20 h.

 

Le vendredi 26 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Ce midi bœuf rôti, pommes de terre en ragoût, riz à l'eau et jus. Je suis toujours exempt et mes oreilles me font de plus en plus mal. Permissionnaires 3ème division de 16 à 20 h. Ce soir ragoût de bœuf, bananes. Il fait très chaud aujourd'hui.

 

Le samedi 27 mai 1916. Branle-bas à 5 h1 5. A 9 h 45 inspection du commandant en chef. Je suis toujours exempt de service. Ce midi bœuf bouilli, pommes de terre, nouilles à l'eau et jus. Permissionnaires 4ème division de 14 h à 16 h. Ce soir ragoût de bœuf fayots blancs, bananes.

 

Le dimanche 28 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Je n'ai encore pas pu dormir avec mon oreille droite, je souffre beaucoup de ces douleurs. Je suis de nouveau mis à la diète, avec deux litres de lait par jour, rien de nouveau. Permissionnaires 3ème division de 8 h à 11 h.

 

Le lundi 29 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. A 4h les feux sont allumés, il est question d'appareillage. A 8 h appareillage. Je suis toujours à la diète. Nous mouillons en grande rade vers 9 h 30. Le "Condé" arrive dans l'après-midi et mouille en face de la savane. Permissionnaires 2ème division de 16 à 20 h.

 

Le mardi 30 mai 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Je suis toujours exempt de service et à la diète. Le "Condé" appareille et rentre dans la darse. A bord inspection de la tranche milieu par le commandant. Exercice de mitrailleuse de dessus la passerelle avant. Tir au tube de jour et de nuit par tribord, un but est remorqué par les vapeurs du bord. Une ancre de veille est mouillée à bâbord pour faire éviter le navire. Permissionnaires 3ème division de 16 à 20 h. Tribord double de terre demain et bâbord de quart. Les permissionnaires de la 3ème division, ceux qui restaient manger à bord pour aller à terre, y vont mais pour faire l'embarquement de charbon dans un chaland dans la darse. Le "Condé" est mouillé au poste de carénage. Il fait encore chaud aujourd'hui.

 

Le mercredi 31 mai 1916.

Branle-bas à 5h. L'équipage prend la tenue de charbon pendant le déjeuner. A 5 h 30 corvée de charbon à l'appel, 125 tonnes à embarquer, 100 tonnes de cardiff et 25 de briquettes. Cet embarquement est terminé de bonne heure dans la matinée. Vers midi il est embarqué 11 bœufs. A 13 h paiement de l'équipage, je suis toujours exempt et aujourd'hui je peux manger au plat. Ce midi bœuf rôti, riz au gras, bananes et jus. Tout le matériel en excèdent est embraqué à bord. Il avait été débarqué dès notre arrivée à Fort de France et aujourd'hui il ne reste plus rien du bord à terre. Ce soir ragoût de bœuf fayots blancs, riz brûlé‚ à l'eau. Les fayots blancs sont tendres et assez bons vis à vis que ceux que nous avons de coutume. Permissionnaires 3ème division de 16 h à 20 h.

 

Date de dernière mise à jour : 14/09/2020

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