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Mars 1916

Le mercredi 1er mars 1916.

 

A 7 h au servomoteur. La terre est en vue depuis le petit jour. Branle-bas à 5 h. A bord on prend les dispositions de charbonnage. A 8 h l'ancre est mouillée nous accostons l'arrière au poste de carénage comme c'est nommé. Depuis 6 h 30 le clairon avait sonné le poste de mouillage. Cela fait encore 237 heures de mer de plus à compter. En rade un paquebot postal Français de la Cie-Gle transatlantique est mouillé il est arrivé de France ce matin ou hier avec le courrier. "L'Abdel-Kader" est à quai avec le paquebot "Antilles" Il y a aussi un cargo suédois à quai, je ne vois pas très bien son nom, il est de Christiania. Le "Descartes" est accosté près de nous à 50 mts environ. Le service au mouillage est affiché, je suis de quart aux treuils. A midi les doudous viennent à bord. Les fruits sont plus chers que d'habitude mais malgré ça les marchandes sont assaillies et vendent tous leurs fruits. Elles repartent du bord comme d'habitude. Pour dîner nous avons eu un vieux rata des familles et sardines à l'huile et aussi ce qui m'a fait le plus de bien c'est qu'avec le jus j'ai eu trois lettres de France. Oh! la la quelle fête à bord quand il y a le courrier. Ces lettres sont datées du 12 au 15 février. Hier soir à souper nous avons eu du singe purée, pruneaux au vin. A 12 h 30 paiement de l'équipage. Nous sommes payés en argent du pays. A 14 h 30 après la paie au travail. Je travaille sur le pont au grand air et aussi au soleil. Il fait chaud, le soleil brûle. Permissionnaires 2ème division de 16 h à 20 h. Les doudous reviennent à bord ce soir comme d'habitude et repartent de même. Souper de ce soir, rata macaroni et riz. Comme d'habitude le rata reste, j'en suis dégoûté, mais ce soir il y a de la ressource, les marchandes de fruits sont à bord. A 18 h 10 on amène les couleurs du soir. A 19 h branle-bas du soir. Les sabords sont ouverts, l'air rentre à flots et rafraîchit bien les batteries. Cette nuit tous les sabords restent ouverts. Il ne fait pas très frais mais ça peut aller.

 

Le jeudi 2 mars 1916.

Je suis réveillé à 4 h pour les rations puisque je suis de service pour les treuils. Hier soir je me suis couché tard, par ce-que j'ai écrit un peu à la famille, un courrier pour la France devant partir aujourd'hui ou demain. Le branle-bas est fait à 5 h 15. Les chalands de charbon sont le long du bord. La bataille de confettis va bientôt commencer. La corvée est assurée par les charbonniers de la compagnie générale transatlantique. A 7 h l'embarquement commence, jusqu'à 11 h puis de 13 h à 17 h 30, 700 tonnes sont embarquées. A midi, charlotte, bananes et jus. De 17 h à 21 h permissionnaires 3ème division. Je fais une demande pour descendre à terre n'étant pas de la division de terre. La demande est acceptée et je vais à terre. Je fais quelques courses dont j'ai besoin puis vais chez ma blanchisseuse pour mon linge. Je suis retenu à dîner avec elle et je passe le reste de ma soirée avec elle de 17 h à 21 h. Enfin à 21 h je rentre à bord comme tous les permissionnaires, la rentrée se fait par le Fort St Louis, par où nous sommes sortis d'ailleurs. Tous les sabords sont ouverts et il fait bon dans les batteries. Le courrier postal qui est rentré hier matin est le "Venezuela" de la Cie Gle TQ. Le paquebot "Antilles" qui fait le service des îles est parti aujourd'hui pour Colon. Le paquebot "Venezuela" a appareillé aussi.

 

Le vendredi 3 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15 à 6 h 45 grand lavage car le navire est noir de charbon. Je suis occupé sur le pont avant à faire des réparations et au linguet de bâbord. Il fait chaud les rayons du soleil brûlent. A midi charlotte, sardines à l'huile. Le cargo suédois rentré entre les deux quais de la Cie pour se faire décharger du charbon qui est son seul chargement. A 16 h permissionnaires 4ème division à terre jusqu'à 20 h. Équipe de football à terre de 16 h à 18 h. Je ne vais pas à terre pour faire ma partie de foot car j'ai du travail qui demande d'être fini avant l'appareillage. Ce soir ragoût de lard aux haricots, nouilles. Les doudous viennent à bord, midi et soir aux heures habituelles. Les permissionnaires vont à terre avec la chaloupe et ne vont plus à terre par le Fort St Louis, car il y a sur les 2 divisions d'hier et avant hier qui ont fait du scandale au poste de garde. Ce n'est pas si pratique d'aller avec la chaloupe que par le Fort. Tous les sabords sont ouverts et il fait bon. Le 17ème plat de tribord est de balai avec le 18, étant du 17ème je m'envoie le balai dans la batterie basse avec les copains. Heureusement qu'il n'y a qu'un jour au lieu d'une semaine, c'est parce que nous étions à la mer. A la mer les mécaniciens et chauffeurs ne font pas le balai. Rien de nouveau. Il tombe quelques grains dans la nuit.

 

Le samedi 4 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15 à 6 h 30 poste de lavage. Changement de grands sacs. 9 h 45 inspection du Commandant, la tenue en blanc en bonnet avec coiffe. Corps de débarquement en tenue et arme, au complet avec les sections de réserve qui passent l'inspection du Commandant. Je suis exempt pour mon travail pressé. De 16 h à 20 h, permissionnaires 1ère division je descends à terre. Je fais une excursion en montagne du côté du canal Gueydon. Sur la grande route qui se trouve dans la montagne il y a une quantité de villas et petits chalets c'est très joli et coquet. Je vais environ à 4 ou 5 kms en montagne quand je fais demi-tour, je suis aussi très haut dans le fond je vois Fort de France et sa rade, tout semble bien petit. Je mange à l'hôtel, fais quelques achats et rentre à bord à 20 h. Rien de nouveau à bord.

 

Le dimanche 5 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Les hommes désireux d'aller à la messe donnent leur nom avant 8 h et sont conduits puis rentrent à bord à 11 h 0. Permissionnaires de la 2ème division vont à terre de 8 h à 11 h et ceux de la 4ème de 14 h à 16 h. Je descends à terre avec l'équipe de foot de 14 h à 18 h. Nous faisons une partie d'entraînement sur la Savane de 15 h à 17 h 30. Il fait très chaud à jouer. Je suis resté au travail jusqu'à 13 h 30 pour finir le linguet de bâbord, j'y suis arrivé et ça me permet de partir à terre. Je suis de quart aux treuils mais je me fais remplacer, par un camarade. Le soir en rentrant de terre je reprends mon service jusqu'à 21 h 30 l'heure où on ne se sert plus des treuils pour la journée. Ce midi à dîner nous avons eu purée, bœuf à la broche, sardines. Le soir ragoût de bœuf aux haricots, nouilles. Il fait frais dans les batteries la nuit. Il y a eu embarquement de bœufs vivants cet après-midi.

 

Le lundi 6 mars 1916.

Je suis réveillé à 4 h car j'assure le service des treuils. Branle-bas à 5 h 15. Biscuit ce matin. Les feux sont allumés à 3 h 30 à 8 h appareillage. A 7 h moins le quart je suis prévenu que je dois subir l'examen du brevet élémentaire et me tenir paré pour 7 h. De 7 h à 10 h je passe à l'examen écrit avec 4 de mes camarades qui subissent le même examen que moi. Il y a une dictée de douze lignes au plus, sur le cylindre à vapeur, 4 problèmes dont un sur les fractions, un sur les proportions et deux sur la géométrie. Dans l'après-midi de 13 h à 16 h nous passons tous les cinq à l'examen de dessin. Il faut faire le croquis d'un bouchon de chaudière, un bouchon autoclave pour un trou elliptique, à l'échelle 3/2. Nous avons fini l'examen du matin à 9 h 30 et celui de tantôt à 16 h. Ce midi nous avons eu des haricots en salade avec du bœuf bouilli, bananes, ce soir fayots ragoût de bœuf pruneaux au vin. Changement de hamacs pour les tribordais. Tous les sabords sont fermés, il commence à faire chaud. Nous laissons la terre de la Martinique par bâbord et voyons St Marie par tribord.

 

Le mardi 7 mars 1916.

Branle-bas à 6 h. J'ai eu nuit franche, je suis exempt de quart à la mer. De 6 h à 8 h, lavage de linge, des grands sacs et des hamacs pour les tribordais, briquage de bancs et tables. Je lave mon hamac mais pas autre chose. Dans la matinée je passe l'examen oral avec les deux principaux mécaniciens qui forment la commission d'examen. A 10 h tout est fini. Je prends la réparation des rambardes du bord. Ce n'est pas le rêve, la mer n'est pas des plus belles et il embarque des embruns passablement. Le navire tangue et roule. Les machines tournent ce matin 75 tours. L'allure est diminuée et ne tourne plus que 56 tours. Les lames sont creuses et les vents assez forts. Ce midi du singe avec du riz au gras et des pruneaux au vin jus. Ce soir ragoût de lard aux haricots, le lard sent à une distance de 100 mts et les haricots sont échauffés. Pas moyen de manger ni l'un ni l'autre. Riz prétendu au lait comme dessert. Je suis toujours exempt de quart et j'ai nuit franche. Rien en vue aujourd'hui. Les sabords sont ouverts par tribord, une partie seulement. Ceux de bâbord sont consignés car l'eau embarquerait. Il fait chaud la nuit dans les batteries.

 

Le mercredi 8 mars 1916.

Branle-bas à 6 h. Même travail qu'hier, réparation des rambardes. Même temps aussi. L'eau embarque sur le pont, je suis englouti plusieurs fois par des embruns sur la plage avant où m'appelle mon travail. Ce midi bœuf au four et rata d'haricots. Le bœuf peut se manger ce midi mais les fayots, rien à faire. Sardines et jus. Les machines ne tournent plus que 50 tours ce matin. Il y a des poissons volants mais beaucoup moins que quand il fait beau. Le soleil est chaud cependant, il ne faut pas monter sur le pont sans casque. Ce soir ratât de lard aux pommes de terre. Ce cochon de lard sent d'un bout à l'autre de la batterie, il est tellement salé qu'il n'y a pas moyen de le goûter. Pruneaux au vin comme dessert. Je me couche tard ce soir car je ne peux pas dormir. Il fait chaud dans les batteries mais la chaleur est supportable. Rien en vue rien de nouveau.

 

Le jeudi 9 mars 1916.

Branle-bas à 6 h. Même route qu'hier, la lame par bâbord avant, les vents sont forts, la mer n'est pas des plus calmes. Les lames sont longues et creuses, le navire tangue et roule passablement. L'eau embarque sur le pont. Par moment les embruns traversent la largeur du navire, il ne fait pas bien bon se trouver dessous. A dîner ce midi nous avons du bœuf à la broche avec des fayots en rata, sardines à l'huile et jus. Les fayots sont comme d'habitude, ils ont un goût spécial, celui des fayots échauffés. Beaucoup d'hommes sont malades à la mer aujourd'hui. Je suis toujours employé à la réparation des rambardes. Trois fois aujourd'hui je reçois des embruns, à chaque fois je suis traversé, douché entièrement, heureusement qu'il ne faut pas beaucoup de temps pour sécher un bleu de chauffe ou un morceau de linge quelconque. Ce soir rata de fayots (toujours pareils) avec rôti de bœuf, sardines à l'huile. Rien en vue. Je me couche très tard. Dans la fin de l'après-midi il y avait un peu de brume. Certains oiseaux, tels que les goélands me donnent à supposer que la terre n'est pas très loin mais je n'aperçois rien. Il fait chaud dans les batteries la nuit mais ça peut aller.

 

Le vendredi 10 mars 1916.

Branle-bas à 6 h. De 6 h à 8 h lavage de linge et des hamacs pour les bâbordais, briquage de bancs et tables pour les deux bordées. Les bâbordais ont changé leur hamacs hier au soir. Je brique la table de mon plat et lave quelques morceaux de linge. Même allure et même vents qu'hier. La lame est toujours par bâbord avant. Le navire tangue de plus en plus, la mer est plus démontée, il y a de nombreux malades. Je ne ressens rien pour ma part. Ce midi salade de fayots, bœuf bouilli, pruneaux au vin et jus. Pas besoin de l'écrire, les fayots ne valent rien. A midi le navire change de route et fait un demi-tour. Maintenant la lame par tribord arrière. Le navire tangue beaucoup moins mais en revanche il roule d'avantage. Par moment les canons de 100/mm qui se trouvent en abord du bâtiment, au milieu, viennent tremper leur volée dans la mer. Les coups de roulis sont brusques. Ce soir, ragoût de bœuf aux pommes de terre, riz prétendu au lait. Rien de nouveau, rien en vue. La température a beaucoup changé dans les batteries car les sabords sont presque tous fermés à cause du mauvais temps et les vents viennent par l'arrière, il fait beaucoup plus chaud. Je reste à mon poste de couchage cette nuit mais la nuit prochaine je vais encore chercher un poste de fortune.

 

Le samedi 11 mars 1916.

Branle-bas à 6 h comme de coutume. Changement de grands sacs, inspection du Commandant à 9 h 15, hommes du pont en gris propre avec chemises et casque, mécaniciens et chauffeurs du 2ème quart en bleu de chauffe propre, bonnet de travail avec coiffe. Je suis toujours employé aux rambardes et suis exempt d'inspection pour cela. Ce midi singe riz au gras et sardines à l'huile, jus. Nous faisons la même route qu'hier, toujours la lame par bâbord arrière. Le navire roule toujours bord sur bord. Ce soir fayots en salade lard bouilli et pruneaux au vin. Le lard est un peu moins salé que quand il est en ragoût mais il sent encore un peu Fort. Enfin! il ne faut pas être difficile et il faut bien manger quelque chose. Hier toute la journée j'ai eu un cafard phénoménal, de la journée d'aujourd'hui il ne m'a pas quitté. Quelle sale bête que ce phénomène! Les heures semblent des siècles. Cette nuit je souffre énormément de la chaleur. Je me couche pourtant très tard, il est au moins 22 h car je me suis caché sur le pont pour que l'on me laisse tranquille. Il fait tellement chaud dans les batteries on ne peut résister. Je me lève dans la nuit et monte sur le pont prendre un peu d'air. Je n'ai pas changé mon poste de couchage et c'est pourquoi j'ai tant souffert.

 

Le dimanche 12 mars 1916.

Branle-bas à 6 h, je suis levé depuis 5 h je ne peux plus rester dans mon hamac. Même route qu'hier les vents sont un peu moins forts, la mer est un peu moins méchante mais il existe une forte houle de fond qui continue de faire rouler le navire bord sur bord. Dans la matinée vers 9 h un voilier est aperçu par tribord. Nous lui coupons la route et augmentons un peu la vitesse du navire. A 10 h 30 il est près de nous à bâbord. Après lui avoir fait des signaux, il vire de bord et fait cap à la lame, il est presque stoppé, à bord des officiers communiquent avec les officiers du voilier par les moyens d'un porte -voix. C'est un quatre mâts battant pavillon anglais. Pour échanger avec lui les questions et les réponses, nous avons seulement ralenti. A bord on lui a demandé en Anglais s'il n'avait pas besoin de vivres, sur une réponse négative et après avoir obtenu tous renseignements nécessaires et demandés nous nous éloignons en reprenant la direction précédente. A midi ragoût de bœuf aux pommes de terre fayots en salade comme dessert et jus. Le maître commis ne sait plus comment nous faire ses fayots, il nous en donne à chaque repas et n'importe à quelle sauce, il est facile de s'apercevoir qu'il veut s'en débarrasser. Pour ce qu'ils sont bons il ferait cependant mieux de les jeter à l'eau, car s'il était forcé de se nourrir avec comme il se charge de nourrir l'équipage, il saurait bien dire que ses fayots ne valent absolument rien. Parmi l'équipage il y a bien quelques petites rumeurs mais sans bruits malgré ça. J'ai la même maladie qu'hier et avant hier, je ne sais ce qui me donne ce cafard mais je suis bien servi encore cet fois. Cette après-midi, l'équipe de réparations ne se met pas au travail. Je profite de ça pour passer quelques livres de mécanique et d'électricité, mais hélas quelle chaleur, c'est dans la sueur que je suis. Les sabords sont tous fermés dans la batterie basse, c'est à cause du roulis. A 14 h un vapeur est signalé par la vigie. A 14 h 50 il n'est pas très loin de nous, nous lui signalons à bord par les pavillons, code international, de stopper, il continue à marcher, le laps de temps est écoulé, à bord on tire un coup de canon de 47/mm, de suite il stoppe. C'est un cargo battant pavillon norvégien. A bord une baleinière est mise à l'eau et va à bord du cargo. L'officier chargé de perquisitionner ne va pas à bord. Il échange avec le Commandant du cargo les renseignements voulus puis revient à bord. Ce cargo fait le service de ravitaillement des colonies pénitentiaires des Guyanes française Anglaise et Hollandaise. Nous avons augmenté l'allure pour le rattraper pendant 20 minutes. Puis nous repartons ensuite à une vitesse minime. Les machines tournent 40 trs. Ce soir fayots en rata avec du bœuf en broche. Pruneaux au vin. Je me couche à 21 h, car il fait tellement chaud dans les batteries que je ne peux résister. Je me cache sur le pont pour que l'on ne me donne pas la chasse car c'est défendu de rester sur le pont dormir après 21 h. Je descends me coucher dans mon hamac après, mais pas moyen de dormir, il fait trop chaud. C'est dans la sueur qu'il faut se reposer.

 

Le lundi 13 mars 1916.

Branle-bas à 6 h. Depuis 4 h 30 je ne puis plus tenir dans mon hamac, il fait trop chaud. Briquage de bancs et tables, lavage de linge et des grands sacs. Je brique la table et lave quelques morceaux de linge ce matin. La mer est plus calme que les jours derniers, il y a encore de la houle de fond mais beaucoup moins. Le navire roule encore mais pas comme les jours passés. Enfin les sabords sont ouverts, ça ne fait pas de mal, l'air empuanti des batteries va enfin se dissiper. Même travail qu'avant, réparation des rambardes. A midi rata de fayots, (toujours échauffés) et pas cuits, car il y a pas moyen de les faire cuire, bœuf bouilli et demi-maquereau à l'huile par homme, jus. Il n'y a pas à dire la nourriture est bonne et même souvent changée. De 13 h 30 à 15 h 30 tir au tube, deux buts sont mis à l'eau, le navire fait plusieurs fois le tour, d'un sens et d'un autre de façon à faire tiré les deux bordées. Ce soir ragoût de bœuf, pommes de terre et nouilles au gratin. Les sabords ont été ouverts toute la journée il fait à peu près bon dans les batteries. Je me couche vers 21 h. Un grain me fait descendre à cette heure là, la pluie tombe comme si c'était avec des seaux quelle serait versée au-dessus de nous. Il fait encore un peu chaud pour dormir à mon croc respectif mais la chaleur n'est pas insupportable comme les nuits et les jours derniers.

 

Le mardi 14 mars 1916.

Branle-bas à 6 h. Hier un bœuf a été abattu, aujourd'hui un autre. A 7 h la vigie signale un bateau par tribord milieu. A 8 h 30 il est près de nous à bâbord, c'est un voilier, deux mâts, battant pavillon anglais nous ne stoppons pas, mais ralentissons l'allure qui avait été augmentée. Nous échangeons avec le Commandant du voilier les renseignements nécessaires puis repartons. La mer est belle aujourd'hui, il y a encore un peu de houle de fond, le navire roule encore. A 6 h la terre est aperçue par bâbord mais derrière un voile de nuages, je ne sais pas quelle est cette île, nous sommes très loin, on reconnaît que c'est une terre mais c'est tout. A midi ragoût de bœuf et singe aux macaronis, fayots à l'huile comme dessert et jus. Je suis toujours employé à la réparation des rambardes. Ce soir ragoût de bœuf aux haricots, dessert, riz au four mais il n'y en a plus, on nous donne des bananes, elles sont dures comme du bois, pas possible de les manger. Enfin après avoir réclamé on nous donne un demi-maquereau, par homme, pour ceux qui n'ont pas eu de riz au four. La nuit se passe assez bien quoiqu'il fasse un peu chaud, il ne fait pas une chaleur insupportable.

 

Le mercredi 15 mars 1916.

Branle-bas à 5 h. A 4 h j'entends rappeler les bâbordais au poste de veille. A 5 h, par bâbord, à quelques milles seulement, je vois les feux d'un vapeur. Il marche de moyenne allure. Le navire aussi marche bonne vitesse, car elle a été augmentée. Du bord un projecteur est braqué sur ce vapeur jusqu'ici inconnu. La terre est en vue, dans la nuit je peux la distinguer, elle parait assez haute et est par tribord. Je ne sais pas quelle est cette île. Nous contournons et manœuvrons autour du vapeur pour approcher de lui. De son côté il nous fait des signaux au moyen du scot. Enfin nous sommes près de lui maintenant, un projecteur est de nouveau braqué sur lui. Il hisse son pavillon qui est le pavillon français, le jet de lumière du projecteur est toujours sur lui, il hisse son numéro. Nous sommes très près de lui maintenant, un officier du bord demande au Commandant du vapeur, par les moyens du porte voix: "où allez vous?" réponse du Commandant, par les mêmes moyens: "Port au Prince" ensuite il demande: "quel est votre chargement?: "marchandises diverses"-"d'où venez vous"- Pointe à Pitre-"quand êtes-vous parti?"-"hier soir"-"bon voyage!"- "merci!". Puis le projecteur est éteint et nous reprenons notre route précédente. Ce vapeur est un cargo de moyenne force et à une cheminée. Dans cette affaire la terre à disparu, je ne le vois plus ni d'un bord ni de l'autre. Tout cela s'est passé, entre 5 h et 6 h et le jour ne fait que de poindre. Je suis désigné pour assurer le service des treuils à l'arrivée au mouillage. La terre réapparaît vers 6 h 30 à 7 h on stoppe dans la baie de Fort de France. Nous embarquons le pilote. J'aperçois le "Condé" qui sort de derrière le Fort St Louis. Il bat le pavillon de chef de division indépendante. Il passe près de nous, environ à 500 mts. Les équipages des deux navires sont alignés au poste de bande par bordée sur le pont de chaque navire mais tout est calme, aucun signe n'est échangé. Depuis le début de l'appareillage, la gazette courait à bord que le "Condé" devait revenir de France pour les Antilles je ne le croyais pas mais maintenant je suis sûr. Quand le "Condé" est passé nous repartons, lui appareille pour prendre la mer. A 8 h nous sommes amarrés aux quais des Transatlantique, c'est la rivière de la Darse que ça se nomme, c'est le lieu ou les paquebots charbonnent, c'est là, sur les quais que sont les docks de la C.G.T. Enfin ça fait encore 216 h de mer à enregistrer en plus. Embarquement de charbon, il commence de suite et est assuré par les moyens de la C.G.T. En manœuvrant pour entrer dans la Darse, une haussière, (filin d'acier), s'est engagée dans l'hélice tribord. Le scaphandrier est prévenu et il plonge. Je fais partie de la corvée étant élève scaphandrier. A 10 h il fait sa première plongée. Il est très tard quand nous quittons le matin, il est midi et il n'a pas pu faire grand chose, il se sent un peu fatigué, c'est compréhensible car après 10 jours de mer, il règne chez tout homme qui fait le quart un peu de faiblesse. Ce midi pomme de terre en robe et bœuf bouilli, bananes et jus. A 14 h l'embarquement du charbon est fini, 700 tonnes ont été embarquées. Aussitôt le navire est changé de mouillage, maintenant il est accosté au Fort St Louis, c'est à dire au poste dit (poste de carénage) A 16 h la manœuvre est à peu près finie et nous reprenons la séance de scaphandre. De 16 h à 18 h le scaphandrier plonge et réussi à dégager une aile d'hélice d'un tour de filin. A 18 h il est remonté car la nuit descend vite après cette heure. La séance est remise à demain. Le Commandant me demande si je veux plonger, je lui réponds qu'oui, alors il me fait passer la visite pour voir si je suis apte. A la visite je suis reconnu bon et demain je dois plonger à mon tour pour remplacer le scaphandrier breveté quand il sera fatigué. Permissionnaires 4ème division de 16 h à 20 h. Les doudous sont venues à bord comme elles venaient ordinairement, aux même heures, midi et soir. Ce midi je me suis payé une ventrée de bananes et d'oranges. Ce soir ragoût de haricots rouges, bœuf et bananes. Comme je suis très tard à venir manger, il n'y a plus rien à manger à la cuisine, à la cambuse on me donne plusieurs sardines et une banane. Enfin j'entends le branle-bas du soir à table, je suis à manger. Tous les sabords sont ouverts, partout et un grand lavage à été fait après l'embarquement de charbon. Il fait bon maintenant pour dormir dans les batteries. Les sabords sont aussi ouverts la nuit. Le "Descartes" est dans le bassin de radoub, paré à en sortir car il est à flot.

 

Le jeudi 16 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Je suis réveillé à 4 h pour manger aux rations ce matin car il faut être paré pour 7 h. Moi et le scaphandrier breveté mangeons, (un morceau de pain trempé dans un quart de café) comme d'ordinaire. A 6 h le "Descartes" sort du bassin et appareille. Il marche en arrière jusqu'en grande rade. A 7 h moins le quart à moi l'honneur de la première plongée, on m'habille et je descends. Arrivé en bas sur l'hélice qui est environ à 5 mètres et demi de la flottaison, je regarde le travail qu'il y a faire pour désemparer le filin de l'hélice puis je remonte avertir. Je redescends de nouveau avec une scie à métaux car je juge d'après moi qu'il faut scier un bout de l'aussière qui forme une demi-clé sur une aile et qui est bridée sur l'arbre, au deux extrémités du filin. Quand le câble d'acier qui est d'un diamètre de 25 mm est coupé je demande à remonter, je ne puis plus tenir au fond j'ai le bras droit paralysé par la fatigue que j'ai eu pour me tenir à la hauteur de l'hélice et pour couper le filin. Il est 9 h moins le quart quand je suis remonté, je suis fatigué, le scaphandrier breveté me relève et plonge à son tour. L'habit fait de l'eau et je suis tout mouillé comme le scaphandrier hier. De 9 h à 11 h il reste à travailler autour de l'arbre et réussit à avoir un bout de l'aussière, le bout que j'ai coupé moi-même vient et entraîne avec lui plus de 10 mts de filin. A 10 h je monte à bord pour manger aux rations pour plonger cet après-midi. A dîner charlotte, bœuf, bananes et jus. A 13 h 45 la séance recommence. Je plonge le premier. Je réussis après avoir dépassé les aussières à en faire hisser un bout à bord. Ensuite j'amarre un bout libre que j'aperçois en dessus, je fais hisser et virer la machine, il remonte mais doucement. Je fais stopper pour voir ce qu'il y a tenir mais il y a trop d'eau dans l'habit, quand je me penche l'eau tombe dans mon casque. Je suis forcé de remonter car je ne vois plus rien. J'ai percé de petits trous l'habit, dans le dos et, au bras droit, en me tenant à l'aussière qui est toute déchiquetée. J'ai les mains abîmées aussi, remplies de coupures. Il est 15 h 45 quand je suis remonté j'ai de l'eau jusqu'à la poitrine dans mon habit. Le scaphandrier breveté s'habille et essaie un habit neuf venu du port de Fort de France. Dans très peu de temps, aussitôt qu'il a vu ce qu'il restait à faire, il a commandé la manœuvre et le reste de l'haussière est venu. Il a fait une visite générale à l'hélice et à l'arbre puis il remonte. Il est 17 h et tout est fini pour les plongées. Je n'en suis pas fâché et tout le monde est de mon avis. Je suis assez fatigué cela fait 4 h de plongée pour aujourd'hui, à moi seul je n'avais jamais autant plongé. Le principal mécanicien de 2ème classe, qui s'occupe de nous, nous transmet les félicitations du Commandant en chef. Il est l'heure d'aller se laver pour manger. Ce soir haricots rouges en rata avec du bœuf pas bien cuit, riz au lait. Je ne tarde pas à me coucher car je suis fatigué et j'ai mal à la tête.

 

Le vendredi 17 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 1/4. Je suis courbaturé en me levant, j'ai les membres lourds surtout les bras. Briquage de bancs et tables, lavage de linge jusqu'à 7 h 30. Je ne fais rien de tout ça, car j'ai mal aux bras. Je suis occupé à l'atelier pour divers travaux. Vers 8 h je suis appelé avec le scaphandrier pour aller devant Mr le mécanicien en chef. Il nous reçût ensemble chez lui pour nous transmettre à son tour les félicitations empressées du Commandant, pour le zèle, l'entrain et le courage que nous avons employés hier pour enlever l'aussière de dessus l'arbre et l'hélice de la machine tribord. Il nous fait savoir que lui et le Commandant ont été très heureux de nous voir travailler avec autant d'ardeur et réussir aussi promptement. Nous le remercions de ses compliments et retournons à notre travail. Il pleut quelques grains dans la matinée. A midi singe purée, bananes et jus. Dans l'après-midi il pleut plus souvent que ce matin. Je suis occupé au carré des officiers pour la fixation d'une table. Ce soir ragoût de haricots rouges, lard bouilli et riz au lait. Les doudous viennent à bord. Ce midi et ce soir je mange aux rations parce que je suis de service aux treuils, service au mouillage. Dans la journée il y a eu diverses visites, avec les officiers du "Condé" car j'ai oublié d'écrire qu'hier le "Condé" est venu dans l'après-midi, quand j'ai plongé sur l'hélice il n'était pas là et quand je suis remonté à 16 h il était mouillé en rade. Les couleurs sont amenées le soir à 18 h 12 comme c'est fait ordinairement au mouillage. Hier il y a eu permissionnaires, 1ère division de 16 h à 20 h. Je n'ai pu descendre puisque j'étais au scaphandre. Aujourd'hui permissionnaires 2ème division de 16 h à 20 h. A 18 h mercredi quand le scaphandrier à remonter la dernière fois, il lui était arrivé un accident, le piton qui tient la corde de sûreté s'est arraché du casque car il s'était enroulé autour d'un filin d'acier. Aussitôt il a signalé de le remonter mais en attendant il a reçu un jet d'eau de mer pendant au moins 2 minutes, en pleine figure, puisque ce piton est fixé sur le casque juste en face du coté droit de la bouche. Le lendemain nous avons plongé tous les deux avec un casque neuf. Je ne sais si c'est de l'orage qu'il y a dans le temps il fait lourd aujourd'hui, très peu de vent. Il fait plus chaud qu'hier dans les batteries. Les sabords sont cependant ouverts partout. Ce midi j'ai reçu une lettre de Théo, mon frère, elle est datée du 3/2/1916, il y a une carte sur laquelle il est figuré avec plusieurs de ses amis, lui seul a un casque sur cette carte. Je ne sais pas d'où vient cette lettre, il y a eu un sac de correspondances pour la "Marseillaise" mais je ne sais pas par quel courrier ce sac est venu. C'est peut être par un vapeur venant de Kingston.

 

Le samedi 18 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15, 6 h 30 poste de lavage. Changement de grands sacs. Inspection du Commandant en second à 9 h 45. Je suis exempt ainsi que tout le personnel de l'atelier. Ce midi charlotte, concombres à l'huile. Je vais à terre de 14 h à 18 h avec l'équipe de football. Les permissionnaires vont à terre à la même heure que nous aujourd'hui. 3ème division de terre de 14 h à 18 h. Je mange à terre ce soir. Cet après-midi il pleut sans cesse je joue avec l'équipe sans s'occuper du mauvais temps. Entre nous nous formons deux camps et nous nous entraînons. Il fait lourd aujourd'hui encore. Toute la nuit il pleut.

 

Le dimanche 19 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Il pleut encore ce matin. 2ème division de 8 h à 11 h à terre. A midi je prends le plat, macaronis au gratin, bœuf au four, bananes et jus. Cet après-midi je vais à terre faire une partie de foot. L'équipe "Marseillaise" dispute un match avec l'équipe intrépide de Fort de France. La rencontre a lieu sur la Savane de 16 h à 17 h 30. L'équipe intrépide se retire victorieuse à la fin de la partie en battant l'équipe "Marseillaise", par 3 buts à 2. Dans notre équipe le goal n'était pas sur le terrain ainsi que deux demis. Le match est arbitré par un soldat, de l'infanterie coloniale, c'est un Martiniquais, un noir, il n'est pas trop fameux sur la règle du jeu. Je suis descendu à terre comme les permissionnaires de la 4ème division de 14 h à 18 h. Le match se termine trop tard et je n'ai pas le temps de dîner à terre. Ce soir ragoût de bœuf, fayots rouges, riz au lait. Le paquebot "Antilles" est rentré dans l'après-midi ainsi que le "Matouba" du Havre et "L'Abdel-Kader". L'après-midi il n'a pas tombé d'eau mais cette nuit ça tombe toute la nuit.

 

Le lundi 20 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Lavage de linge et des grands sacs, briquage de bancs et tables. Je suis de plats, je brique la boite à plats. A 7 h 3 0 au travail. Un courrier pour la France doit partir aujourd'hui, le vaguemestre a affiché un avis, la dernière levée sera faite à 15 h 30. J'écris à la famille pour que mes lettres partent par ce courrier. Ce midi ragoût haricots rouges, bœuf au four, bananes. Inspection des plats à 12 h 15. Je passe l'inspection des plats, tout va bien. Les doudous viennent toujours à bord. Le poseur de câbles "Pouyer Quertier" de St Nazaire rentre dans le port hier à 10 h et mouille près de nous. Un petit cargo, Français rentre dans le port aujourd'hui aussi. La journée se passe sans toutefois avoir été trop mouillée. Le courrier français "Venezuela" part pour la France à 17 h. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, riz au lait. Cette nuit il pleut encore. Je me couche tard ce soir mais c'est la pluie qui me fait descendre. Permissionnaires 1ère division de 16 h à 20 h.

 

Le mardi 21 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Il pleut ce matin. Aujourd'hui je suis de quart aux treuils, je mange aux rations midi et soir. Ce midi ragoût haricots rouges, bœuf au four, bananes et jus. Hier à 13 h a eu lieu la distribution des effets d'habillement. Je touche 2 kgs de savon que j'ai demandé. Je reçois aussi mon brevet élémentaire de mécanicien qui date du 15 mars. Je travaille à l'atelier pour divers travaux. Il fait beau le reste de l'après-midi. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, concombres à l'huile. A 16 h permissionnaires 2ème division à terre jusqu'à 20 h. Je me couche tard, je reste sur le pont car il fait bon. Il y a une quantité de lucioles, se sont des mouches grosses comme des mille-pattes et qui sont lumineuses la nuit. De loin elles paraissent énormes, du moins leurs deux points lumineux, il y en a un sur chaque aile. Tous les soirs on voit ces petites bêtes voltiger autour des arbres et même autour du navire dans la mâture. Les soirs quand il ne pleut pas.

 

Le mercredi 22 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15, 6 h 30 poste de lavage et travail. A 8 h 15 concours de natation pour 15 points supplémentaires. Il faut faire 100 mts à la nage et rester 10 secondes sous l'eau. Il y a de nombreux candidats. Je réussis et gagne 15 points. Il y a aussi 3 candidats pour le concours de maître nageur. Deux d'entre eux réussissent. Il faut faire 1000 mts en 30 minutes et rester 60 secondes sous l'eau. A bord il a été installé un tuyau percé qui sert de douche. Ce tuyau qui a une quinzaine de trous reçoit de l'eau douce et tout l'équipage doivent se laver et doucher tous les jours. L'installation est faite sur le pont milieu. A midi ragoût de bœuf haricots rouges, bananes et jus. Ce soir charlotte riz au lait. Il pleut encore un peu ce soir. Permissionnaires 3ème division de 16 h à 20 h.

 

Le jeudi 23 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15, 6 h 30 poste de lavage et travail. A 9 h 15 inspection du Commandant en second. Hommes du pont en gris propre, mécaniciens et chauffeurs en bleu de chauffe propre, bonnet de travail avec coiffe. Je suis exempt d'inspection ayant du travail pressé. Je suis occupé à la réparation du cheval alimentaire Belleville. Ce midi ragoût de bœuf haricots rouges, bananes et jus. Il y a encore concours de nage pour les 15 points aujourd'hui. Nombreux sont les candidats. Le concours a lieu à l'arrière du navire, tandis qu'hier il avait lieu dans le bassin de radoub. Douches pour tout l'équipage de 16 h 15 à 16 h 45. Comme les collègues je vais aux douches. C'est rigolo de voir tout le populo court vêtu sur le pont et sous un petit jet d'eau qui laisse tomber presque goutte à goutte l'eau douce venant du château d'eau qui se trouve sur le spardeck (pont léger au-dessus du pont des paquebots). Ce soir lard bouilli, pommes de terre en robe riz au lait. Il fait lourd ce soir, il y a une quantité de moustiques. Changement de hamacs pour les deux bordées. Je me couche assez tard, car il fait meilleur sur le pont que dans la batterie basse, quoique la chaleur ne soit pas insupportable. Permissionnaires 4ème division de 16 h à 20 h.

 

Le vendredi 24 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Je me suis levé à 4 h pour les rations. Je suis un peu plus courageux qu'aux précédents lavages de linge. Je lave une quantité et me remets presque à jour. Lavage des grands sacs et des hamacs, briquage de bancs et tables et des boites à plats. Tout y passe et le tout jusqu'à 7 h 30. A 7 h 30 poste de travail. A midi charlotte, concombre à l'huile, jus. L'inspection de plats est passé par l'officier adjoint. Je passe l'inspection avec mon homme de plat. Tout se passe pour le mieux. Un courrier pour la France par via New York est assuré par un paquebot américain du nom de "Parima" il doit partir ce soir, la dernière levée à bord est faite à 15 h 30. Le "Descartes" rentre au bassin à 16 h 45. Il a à bord, un boche capturé à bord d'un cargo brésilien en mer ce matin. Ce soir ragoût de bœuf aux macaronis, bananes. Le paquebot français de la C.G.T. "Niagara" rentre dans la darse à 18 h 30. Il est venu de France avec le courrier et il y a bord un nouvel équipage pour le "Descartes" car l'équipage actuel rentre presque tout en France, les hommes ayant tous plus de deux années de campagne et le bateau devant partir pour un an aux bancs de Terre-Neuve. Il y a distribution de lettres à bord. Il faut voir un équipage heureux, c'était la foule pour voir le courrier entrer dans la darse en passant environ à 80 mts de nous, mais maintenant c'est une bousculade pour avoir ces lettres, enfin qu'importe ça fait toujours bien plaisir de lire un peu les siens. Enfin! aujourd'hui je reçois dix lettres ou cartes. Deux de Gustave, mon frère, et de toute la famille à peu près. Louis, mon frère me donne de ses nouvelles par ce courrier. Il y a une collection de lettres pour le bord. Il est vrai que le départ de ce courrier à été retard de neuf jours en France. je suis satisfait ce soir quoiqu'il me manque une lettre que je croyais recevoir par ce courrier. Je me couche après avoir lu ma correspondance et pris un peu l'air sur le pont car il y avait la presse à la distribution des lettres dans la salle d'armes. Il fait beau ce soir, les moustiques et les lucioles voyagent beaucoup. Il n'est presque pas tombé d'eau aujourd'hui.

 

Le samedi 25 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Hier les permissionnaires 1ère division de 16 h à 20 h. Je ne vais pas à terre. Aujourd'hui à 7 h poste de lavage et travail. Il n'y a pas d'inspection, c'est étonnant. A midi ragoût de bœuf haricots rouges, bananes et jus. Il n'y a pas de travail cet après-midi. L'équipage aux sacs tout le monde à bord est aux tables à écrire car le courrier américain qui devait partir hier ne part qu'aujourd'hui, la dernière levée à bord est faite à 16 h. Je suis de service aux treuils aujourd'hui, un homme me remplace ce midi parce qu'il faut que je sois à mon travail jusqu'à la mise bas l'ouvrage. Aussitôt mangé je prends mon quart. J'ai le temps d'écrire deux lettres et je me remets au travail. Le sac et le repos n'existent pas encore pour moi aujourd'hui. J'ai un clavetage de tige de piston de ventilateur à faire ainsi que le goupillage. Enfin à 17 h je suis libéré de ce travail mais hélas la levée du courrier est faite, il est trop tard pour écrire. Ce soir bœuf rôti purée, riz au lait. L'équipage du "Descartes" a été débarqué et le nouveau l'a remplacé. Ce soir l'équipage débarqué, celui qui doit retourner en France est venu à bord manger en subsistance puis après le repas il est retourné à terre dans un chaland remorqué par un vapeur du bord. Il doit coucher à la défense de Fort de France. Le paquebot "Niagara" sort de la darse ce soir, il est environ 18 h. Étant de quart aux treuils, un timonier vient me chercher comme je suis à manger pour hisser plusieurs embarcations. Les doudous viennent toujours à bord, aux heures habituelles. Permissionnaires 2ème division de 14 h à 18 h. Exercice, poste de sécurité à 19 h, tous les soirs depuis que nous sommes arrivés au mouillage il y a exercice, soit de combat, de veille ou de sécurité. Ce soir au branle-bas, après le poste de sécurité, au loin dans la brousse je vois un incendie, c'est sans doute dans une cabane en bois ou autre, c'est situé à la hauteur, sur un versant de montagne du coté Ouest de la rade de Fort de France. L'incendie prend tout d'abord un air minime puis augmente d'intensité, enfin au bout d'un quart d'heure je vois encore quelques lueurs, puis un feu qui ne parait pas avoir une grande surface. Je me couche assez tard ce soir vu qu'il fait meilleur sur le pont que dans les batteries.

 

Le dimanche 26 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15, 6 h 15, poste de lavage. De 8 h à 11 h, permissionnaires 1ère division. Ce matin je vais à la messe à terre, le départ du bord est à 8 h 45. C'est à la cathédrale que je suis conduit comme tous les hommes qui vont à la messe d'ailleurs. L'église est très jolie, elle est d'une construction métallique, entièrement en ferraille. Il y a de jolis travaux de serrurerie d'art. L'intérieur est très joli et bien décoré. Il y a encore des échafaudages, les décors ne sont pas tous finis. J'assiste donc à la grand messe. Le ministère religieux est commandé par un évêque qui monte en chaire pour faire un sermon. Celui-ci est la religion et la science, leurs rapports, ce qu'ils devraient être et ce qu'ils sont, les causes qui ont éloigné et qui éloignent encore la science de la religion. Cet évêque porte toute sa barbe; et malgré ça parait assez jeune. C'est aussi un orateur assez explicite dans son sermon. A 11 h, la messe est terminée et je repars à bord avec les collègues, toujours accompagnés d'un fidèle second maître qui ne nous quitte pas d'une semelle. Pendant la messe, il y avait aussi des chœurs de petits garçons et de petites filles, blancs, créoles et noirs. Les garçons étaient à gauche de l'autel et les petites filles à droite, tous en abord de l'église. De nombreux assistants écoutent religieusement le prêtre dire la messe. Nombreux sont aussi les marins du "Descartes". Entre tout ce que nous sommes de marins dans l'église, nous avons été placés par les soins du suisse. Ce dernier est un noir et qui ma fois se redresse fièrement dans son uniforme. A la sortie de la messe, comme nous sortons dans les premiers par une porte de côté, je vois une partie des assistants, il y a passablement de blancs de créoles et aussi des noirs. Il y a autant d'hommes blancs que de femmes blanches, chez les créoles, ce sont pour ainsi dire rien que des femmes et chez les noires il y a autant d'un coté que de l'autre. Les toilettes sont de beau choix, chaque personne est bien vêtue, que se soit homme ou femme. A 11 h 30 de retour à bord. En arrivant je vois les marins débarqués du "Descartes", qui sont à table. Comme dîner nous avons du ragoût haricots rouges, bœuf rôti et riz au lait. De 14 h à 18 h permissionnaires 3ème division. Il pleut ce midi. L'équipe de football va à terre de 14 h à 18 h. Hier cette Même équipe est descendue à terre pour faire de l'entraînement, je ne suis pas descendu hier vu que j'étais de quart. Aujourd'hui étant de la bordée de terre je descends. Un match entre l'équipe de foot des coloniaux du Fort de la plantation et l'équipe "Marseillaise" doit se disputer cet après-midi. Une fois arrivés sur le terrain nous apprenons que les coloniaux avec qui nous devions avoir un match amical sont consignés pour épidémie. Nous jouons sur un but et entre nous. A 16 h je rentre à bord comme tout le monde. Je n'ai pas mangé à terre, à bord il y a un ragoût de bœuf aux nouilles et des bananes. Les subsistants du "Descartes" sont venus manger à bord ce soir, après le branle-bas du soir je suis resté un peu sur le pont puis je suis descendu me coucher car la fatigue m'endormait ce soir. Celle-ci est due probablement à la partie de foot de cet après-midi. Il fait frais cette nuit, plus frais que d'habitude. J'oubliais d'écrire que j'ai vu un requin à terre, il était aux halles, on lui avait ouvert le ventre et coup la tête. J'ai pu remarquer aussi que la montagne située derrière Fort de France à été une partie de la journée découverte des nuages qui la masquent habituellement.

 

Le lundi 27 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Changement de grands sacs, lavage de linge et des grands sacs, briquage de bancs et tables. Je lave un morceau de linge et donne la main à briquer les bancs et tables. Le lavage a lieu jusqu'à 7 h 40. Tir au revolver pour les gradés de la machine dans la matinée. Je suis occupé à la réparation des dalots de mer (ouverture dans un navire pour l'écoulement des eaux) dans la batterie. Ce midi haricots rouges, porc frais du pays (rôti) et bananes, jus. Inspection des plats à 12 h 30. Les subsistants du "Descartes" sont venus dîner à bord ce midi. L'équipe prend la tenue du jour pendant le dîner, en gris propre, mécaniciens et chauffeurs en bleu de chauffe propre, casque et souliers. Le gouverneur de la Martinique vient en visite à bord ce midi. Un armement de canot et un canot à vapeur est à sa disposition. Il part du bord vers 14 h 30 et fait une excursion avec le Commandant en chef. Ce soir les subsistants du "Descartes" viennent manger à bord. Nous avons du ragoût de porc aux pommes de terre, riz au four. Je mange aux rations pour remplacer un autre ouvrier de quart. Vers 18 h 30. Les canots qui sont partis en excursion avec le Commandant et le gouverneur reviennent et conduisent se dernier à terre. Il pleut quelques grains ce soir mais ça ne dure pas. Permissionnaires 4ème division de 16 h à 20 h.

 

Le mardi 28 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15. A 6 h 15 douches sur le pont. A 8 h 30 conseil d'avancement pour les mécaniciens, chauffeurs, torpilleurs, électriciens. Je passe à mon tour, par rôle d'embarquement. Je reçois une nuée de reproches pour mes punitions antérieures au semestre. Il y a une huitaine j'étais félicité, aujourd'hui c'est tout juste si je ne suis pas insulté. Enfin! c'est la marine. Le Commandant me reproche une punition que j'ai eue au dépôt pendant mes formations puis une punition du mois d'août 1915, vraisemblablement il ne devrait noter que sur la conduite du semestre puisqu'il y a un conseil d'avancement par semestre. S'il n'avait pas jugé comme ça, n'aurait pu m'adresser de reproche. C'est aussi loin d'être la manière d'encourager ses hommes. après le conseil d'avancement, au travail. Nous avons du bœuf bouilli haricots rouges à l'huile, pruneaux au vin et jus. Le conseil continue cet après-midi pour les autres spécialités. Seuls les mécaniciens et chauffeurs passent en bleu de chauffe propre, toute autre spécialité en gris propre, chemise, bonnet de travail avec coiffe. Hier j'ai encore oublié d'écrire qu'il y a eu embarquement de vivres. après dîner il a été embarqué sept bœufs. Il y en a eu un qui une fois hisser sur le pont n'a pas voulu marcher en avant et il se faisait peur sans doute, il s'est mis à reculer, ayant été détaché et n'étant plus arrêté par aucun obstacle puisque la rambarde du pont était enlevée pour l'embarquement de ces bœufs, il est tombé dans le chaland qui a servi à l'amener le long du bord. Il a été hissé à bord de nouveau, mais à moitié tué. Le soir le boucher du bord lui a donné le coup de grâce. Ce soir ragoût de bœuf haricots rouges, 1/2 maquereau repas des tribordais, porc bouilli, pommes de terre en robe, bananes. Il tombe quelques grains dans la soirée, ça n'empêche pas les joueurs de cartes de rester jusqu'à 22 h et 23 h. C'est une maladie qu'ils ont ces malheureux, heureusement que les jeux sont tolérés. Il y a eu permissionnaires 1ère division de 17 à 21 h.

 

Le mercredi 29 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15, à 6 h mécaniciens et chauffeurs aux douches sur le pont. Ils ne savent plus de quoi inventer pour hébéter le personnel de la machine, alors maintenant c'est la crise des douches, ça pourra durer jusqu'au prochain appareillage. A 9 h, inspection de la tranche avant du navire par le Commandant. Je suis de service aux treuils aujourd'hui et je mange aux rations. Nous avons du bœuf au four haricots rouges, bananes et jus. Si je ne connais pas le goût des fayots, ça ne sera pas faute de ne pas en avoir à manger. Je ne sais pas si je deviens dingo ou un peu suffoqué par le soleil mais en tout cas j'oublie d'écrire sur mon livre, tous les jours quelques faits. Ainsi hier matin, il a été mouillé un but en rade et la 5ème section du corps de débarquement à été à terre avec les canons de 65 m/m et à fait des tirs sur les hauteurs du Fort St Louis. Le tir n'a duré que la matinée. A 16 h 30 permissionnaires 2ème division jusqu'à 20 h 30. Rien de nouveau dans l'après-midi. Ce soir nous avons un vieux rata de bœuf aux macaronis et des, un concombre pour neuf puisque nous sommes neuf au plat. Ce soir je veille jusqu'à 22 h à l'atelier car je suis de treuils.

 

Le jeudi 30 mars 1916.

Je suis réveillé à 4 h étant de service. A 5 h 15 branle-bas. A 6 h douches pour les mécaniciens et chauffeurs. 6 h 30 poste de lavage et travail. Je coupe aux douches sur le pont ce matin puisque je suis de quart. A 9 h 15 inspection du Commandant en second, matelots du pont, chauffeurs et mécaniciens en propre. Je suis exempt aujourd'hui, d'ailleurs tout le personnel de l'atelier est exempt. Il tombe quelques grains dans la matinée. Ce midi à dîner nous avons du bœuf bouilli, pommes de terre en robe et bananes, jus. Les doudous viennent tous les jours à bord, au mouillage, les heures ne changent pas, pour leur vente du midi ou du soir. Permissionnaires 3ème division de 16 h 30 à 21 h 30. Ce midi après avoir manger, en flânant pendant mon repos sur le pont j'ai assisté à un duel de négrillons, un duel qui a commencé en pirogues, à se jeter de l'eau l'un et l'autre à l'aide d'une boite à conserve, comme celles qui contiennent trois kilogrammes de singe. Ensuite quand ils ont été mouillés complètement et que leur pirogue à été presque remplie d'eau ils se sont déshabillés, jetés à l'eau et battus dans l'eau à coups de pieds, en tournant et faisant des galipettes, ils ne se faisaient certainement pas de bien mais moi comme tous ceux qui regardaient ce spectacle, je riais de leur lutte excentrique. Pendant qu'ils se jetaient de l'eau dedans leur pirogue, il y avait d'autres négrillons qui avançaient les pirogues l'une vers l'autre. Ces gamins peuvent avoir sept à huit ans au plus. Pour ce soir ragoût de bœuf haricots rouges, concombre à l'huile. Il tombe quelques grains dans la soirée. Je me couche assez tard quoique, il fait bon dans les batteries, la température n'est pas très élevée.

 

Le vendredi 31 mars 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Je me suis fait réveiller à 4 h 30 pour laver quelques morceaux de linge. Lavage de linge, briquage de bancs et tables jusqu'à 7 h. Poste de lavage et travail. A 9 h est réuni à bord un conseil de guerre présidé par un capitaine de vaisseau qui n'est pas du bord. Le lieutenant de vaisseau Marie fait office de commissaire du gouvernement. Le défenseur est un lieutenant de frégate du bord. L'accusé est un matelot mécanicien qui apparaît devant le conseil de guerre pour désertion à l'intérieur en temps de guerre. Son retard après permission est de 107 heures. Il s'est lui-même constitué prisonnier à la direction du port. Enfin le jugement se prononce avec un grand calme. Mr le défenseur plaide d'une façon remarquablement vouée pour l'accusé. Non pas qu'il a plaidé comme un avocat, c'était plutôt faire la lecture de la défense mais il importe de dire que son vocabulaire a été bien étudié. A la délibération, le conseil afflige par 4 voix contre une, au sieur dont je ne marque pas le nom, deux années de travaux publics avec sursis. Cela ne donne pas des intentions de désertion. A midi bœuf rôti haricots, bananes et jus. A 13 h le linge est amené. Aussitôt après paiement de l'équipage. L'entrée du paiement est aux mécaniciens et chauffeurs. Je n'avais jamais vu cette chose depuis que je suis à bord. Quel honneur! Enfin je touche ma solde de première classe depuis le quinze mars et ma plongée de scaphandre que j'ai fait dans le mois; ça me relève un peu de toucher un petit supplément, 65 francs. De 16 h 30 à 21 h 30 permissionnaires 4ème division. Il y a eu un peu de clapotis en rade toute la journée, c'est dû aux vents qui viennent du fond de la baie. Il ne pleut pas aujourd'hui. Ce soir nous avons eu du ragoût de bœuf pomme de terre, nouilles au gratin. Je reste sur le pont assez tard et je descends me coucher. Les sabords sont toujours ouverts jour et nuit. Il tombe quelques grains dans la nuit.

 

 

Date de dernière mise à jour : 14/09/2020

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