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Juin 1916

Le jeudi 1er juin 1916.

Branle-bas à 5 h 15. A bord service du dimanche à cause de l'Ascension. Je suis toujours exempt, permissionnaires 2ème division de 8 à 11 h. Je suis pays ce matin avec tous les exempts de service, je touche 55 F en billets martiniquais. Ce midi bœuf rôti, bananes et jus. Ce soir ragoût de bœuf, ananas au sucre. Il fait très chaud dans les batteries et pourtant tous les sabords sont ouverts partout.

 

Le vendredi 2 juin 1916.

Branle-bas à 5 h 15. A 5 h allumage des feux, h appareillage. Nous laissons la terre par tribord, il fait beau en mer. Je suis toujours exempt de service. Ce midi bœuf caoutchouté aux fayots rouges, bananes et jus. Il fait très chaud dans les batteries car il n'y a pas d'air, les vents sont absents. Ce soir ragoût de bœuf aux carottes, riz au lait. Toute la journée nous avons eu la terre en vue soit d'un bord ou de l'autre. Vers 16 h 30 nous passons entre deux îles environ à un mille de chaque côté, c'est magnifique. Je ne sais pas quels sont leurs noms. Ce soir pour la première fois depuis que je suis exempt je monte sur le pont. La terre est par tribord. Nous sommes tout près d'elle mais la nuit est noire, nous passons devant une ville car une immense surface de lumière dénonce sa présence. Je peux même écrire que les rues sont bien dessinées avec les sillons de lumière qui les éclairent.

 

Le samedi 3 juin 1916.

Branle-bas à 6 h. La terre est en vue par tribord mais assez loin. Il y a une quantité d'îles et d'îlots, ça forme une chaîne. Certaines de ces îles sont hautes. Un bœuf est abattu ce matin. A 10 h 30 nous mouillons l'ancre devant un petit patelin de l'île St Barthélemy, c'est St Barthélemy même. Une baleinière va à terre avec des officiers. Quelques petits bateaux viennent le long du bord. Nous sommes au plus à un mille de terre. Le patelin est au moins à 3 milles au fond de la baie. Un gros rocher est en avant de nous et ferme la route et des petits à sa droite forment une longue chaîne dangereuse à franchir. Quelques marchands et marchandes montent à bord vendre des fruits du pays. Ce midi bœuf rôti, ragoût de pommes de terre, confiture et jus. A 13 h 30 appareillage. Sur la montagne tout près où nous étions mouillés il y a de nombreux habitants qui vaquent à leurs occupations aux champs. Ils semblent cueillir des fruits. Les petites embarcations montées par des hommes du pays viennent en quantité le long du bord. Certains de ces hommes sont blancs et créoles, je n'ai pas remarqué un noir. Il y a un petit voilier de mouiller devant le village, celui-ci n'est pas bien grand, il semble y avoir deux clochers d'église. Les maisons sont basses et bien séparées les unes des autres. Sur une montagne je remarque un groupe de maisons. Il y a deux belles plages. Plus à gauche du village parmi la verdure, les palmiers et autres arbres il y a encore un groupe de maisonnettes. Il fait beau temps. La brise est encore faible. Vers 16 h nous arraisonnons un 4 mâts battant pavillon américain puis nous repartons. Nous avons la terre par tribord. Je ne puis voir beaucoup ce qui se passe vu qu'il faut que je me tienne à l'hôpital du bord comme tous les exempts de service. Ce soir ragoût de bœuf fayots rouges, nouilles à l'eau. A 17 h 30 nous mouillons l'ancre en face St Martin, village de l'île. Un canot à vapeur fait le service du bord à terre. A 19 h 30 appareillage. Il fait une chaleur accablante dans les batteries. Il n'y a pas d'air du tout.

 

Le dimanche 4 juin 1916.

Branle-bas à 6 h. La terre par bâbord. Un bœuf est abattu ce matin. Vers 7 h nous faisons cap sur la terre, c'est l'île St Thomas. Une ville assez grande est située en face de nous. Nous tournons à droite. Je reprends mon service après la visite, je ne suis pas complètement guéri mais je puis faire mon travail. Ce midi, bœuf bouilli fayots blancs à l'huile et au vinaigre, confiture et jus. Je suis de quart à la machine à glace de 7 à 11 h mais je ne fais que 9 à 11 h. A 11 h 30 nous stoppons pour arraisonner un cargo, le "Tocantin", celui-ci est assez grand et porte les couleurs brésiliennes (fond vert, losange jaune, vertical au centre et une boule verte au centre du losange) ce cargo a une cheminée. Une baleinière armée va à bord comme de coutume avec Mr le commissaire et un autre officier. La baleinière revient pour retourner ensuite conduire un officier qui commandera le cargo car celui-ci a de la contrebande de guerre à son bord et nous l'escortons à Fort de France comme prise de guerre. Pendant que la baleinière retourne à bord du cargo, nous voyons de la "Marseillaise" des hommes du cargo jeter un fardeau à la mer et ce fardeau ne submerge pas. Cette capture est la première que nous faisons aux Antilles j'espère que ce ne sera pas la dernière. Il est 12 h 30 quand l'officier est à bord du cargo suspect, nous nous approchons de lui, il est toujours stoppé, il porte l'inscription suivante sur son avant "Tocantin" Il fait une chaleur étouffante. Il va une quinzaine d'hommes armés du fusil et revolver à bord du cargo. Douze fusiliers, un timonier et un maître mousqueterie. Ensuite le bateau nous suit derrière. Nous échangeons des signaux à bras avec le timonier qui est à bord. La vitesse du bateau est de 9 nœuds. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, riz brûlé à l'eau. J'ai le quart de 17 h à 21 h à la machine à glace. Il fait tellement chaud dans les batteries qu'elles deviennent désertes, tout l'équipage va sur le pont, passer la nuit, la surveillance du pont étant désormais peu sévère. La terre est par bâbord de 17 h à 18 h 30, c'est l'île St Croix.

 

Le lundi 5 juin 1916.

Branle-bas à 6 h. Un bœuf est abattu ce matin. Je suis réveillé‚ à 3 h 30 pour la machine à glace, 3 à 7 h. Nous avons rencontré un transatlantique cette nuit mais il était trop loin pour pouvoir l'arraisonner. Notre capture marche devant nous aujourd'hui. Lavage de linge, briquage de bancs et tables, je brique la table et lave quelques morceaux de linge. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre, fayots à la vinaigrette et jus. Il fait une mer d'huile et pas de vent, le soleil frappe dur. J'ai 14 à 17 h, machine à glace. Ce soir ragoût de bœuf, fayots blancs, confiture. Je couche sur le pont car il fait trop chaud dans les batteries.

 

Le mardi 6 juin 1916.

Branle bas à 6 h. Depuis 4 h je me balade sur le pont, l'air frais m'a laissé reposer en paix. La terre par bâbord, c'est l'île de la Martinique. Notre cargo est toujours devant nous. Vers 6 h 30 j'aperçois le transatlantique français "Flandre", il prend la direction de Colon. Un bœuf est abattu ce matin. Quand nous sommes en face de Fort de France le cargo entre au port et nous nous poussons une visite autour de l'île. Ce midi bœuf bouilli, fayots blancs en salade, nouilles à l'eau et jus. J'ai le quart de 11 h à 14 h à la machine à glace. Nous croisons un trois mâts battant pavillon américain. Nous n'allons pas à son bord, il est environ midi. A 16 h nous mouillons l'ancre en face de Fort de France, à gauche de la savane, juste devant la rivière Madame. Ce coin est rustique et très joli, jamais nous n'étions venu mouiller à cet endroit. A gauche dans la montagne est le château du gouverneur, il y a un mât de pavillon et une petite maisonnette sur l'avant. Le pavillon est amené trois fois pour saluer le bord, nous répondons à ce salut. Permissionnaires 1ère division de 17 h 30 à 21 h en bonnet. Je vais à terre, je rapporte mes photos qui sont là depuis le 2 avril, elles me sont livrées aujourd'hui. Le "Condé" "L'Amiral-Aube" sont en rade au bout du fort St Louis où nous étions avant. La "Gloire" est dans la darse à charbonner. Je mange à bord, les permissionnaires ont été prévenus qu'après souper. Ce soir ragoût de bœuf fayots blancs, riz à l'eau. Je me couche très tard car les sabords sont en partie tous fermés et il fait chaud. J'ai vu à terre quelques collègues de la Gloire et de L'Amiral-Aube. Nous avons la distribution des lettres du courrier de France ce soir. Encore 176 h de mer.

 

Le mercredi 7 juin 1916.

Branle-bas à 5 h 15. L'équipage prend la tenue de charbon pendant le déjeuner. Embarquement de 400 tonnes de cardiff par les moyens du bord. Ce midi bœuf bouilli riz au gras, bananes et jus. Un bœuf a été abattu ce matin. Travaux divers à l'atelier. Je suis de service aux treuils. Ce soir ragoût de bœuf fayots blancs, ananas au sucre. La "Gloire" est venue mouiller près de nous ce matin vers h. "L'Amiral-Aube" est entré dans la darse. La "Gloire" a un contre amiral à son bord. Depuis notre départ de BREST, la musique a été étrangère pour nous, ce soir nous l'entendons sur la "Gloire" à l'heure des couleurs. Je me couche encore sur le pont jusqu'à ce que le froid me fasse descendre car je souffre de la chaleur avec mes barbouilles.

 

Le jeudi 8 juin 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Je suis réveillé‚ à 4 h pour le service des treuils. Nous embarquons du matériel venu de France par le courrier. Vivres. Le trafic est fait par la chaloupe du bord. Nous sommes de garde aujourd'hui. Il est question d'appareillage pour demain. Je cesse de passer la visite pour mes oreilles après celle de ce matin. Ce midi bœuf bouilli fayots blancs à la vinaigrette, mangue et jus. Travaux divers à l'atelier. Ce soir ragoût de bœuf aux carottes, mangues. Le navire étant de garde, il n'y a pas de permissionnaires. Il fait encore très chaud dans les batteries.

 

Le vendredi 9 juin 1916.

Branle-bas à 5 h 15. A 6 h on allume les feux, 10 h appareillage, en avant 75 tours. La "Gloire", le "Condé", "L'Amiral-Aube" sont en rade. La terre par tribord. Aujourd'hui nous contournons l'île de plus près que d'habitude, c'est très intéressant, il y a une quantité de patelins sur la côte, dont je ne sais pas les noms. Pour la première fois aujourd'hui je vois par intervalles le sommet du mont Pelé. Les nuages sont hauts et permettent de le voir entièrement, son versant Nord, il n'y a rien, tout est brûlé, tout a été détruit par la lave, sur son versant sud c'est aride et sec comme sur bien des montagnes, il n'y a pas trace d'aucun désastre. Les arbres ne sont pas nombreux sur cette montagne, elle est véritablement bien dé‚nommée. Presque au sommet il y a de gros cailloux blancs qui semblent accrochés aux pieds du cratère. Je vois aussi les torrents qui ont servi de lit pour la lave pendant l'éruption. Le mont Pelé est passé, plus loin en allant vers le sud, il y a de nombreux villages. Tout le long de la côte se trouvent des cascades qui viennent se jeter à la mer. La terre est bien cultivée par toute l'île. Dans tous les petits villages qui sont le long de la côte il y a des usines où l'on travaille la canne à sucre, en grande partie se sont des rhumeries. A la pointe sud de la Martinique, il y a une ville assez étendue. Devant cette ville, un cargo est mouillé, nous croisons trois ou quatre petits voiliers qui se dirigent vers cette petite ville. Les plages ne manquent pas sur la côte. Je suis exempt de quart à la mer pour faire un clavetage d'hélice pour un canot à vapeur, cet arbre porte hélice est neuf et le travail ne manque pas dessus car tout l'équipage est à faire. Ce midi bœuf rôti purée, ananas pas m-r. De 13 h à 17 h au travail, il fait chaud à l'atelier, on se croirait dans une fournaise. Divers exercices à bord dans l'après-midi. A 16 h 15 au mouillage dans la baie Galion, (Nord Martinique). Ce soir ragoût de bœuf fayots blancs, riz à l'eau. Les feux à 90', service dédoublé machines. Il fait un peu de clapotis dans cette baie. En mer il fait un temps superbe. La brise est faible mais elle existe. La terre qui borde la baie n'est pas très haute mais armée que de petits monticules sur deux côté, bien boisée et surtout bien cultivée, mais je ne vois que quelques maisons, qui ne forment pas un village. Celui ci doit être caché derrière la terre. Les matelots martiniquais qui étaient à bord ont été débarqués ce matin et remplacés par des blancs venus des bateaux qui étaient au mouillage à Fort de France. Les doudous sont venues à bord avant l'appareillage et naturellement elles ont été dévalisées. Certaines et presque toutes semblent nous regretter car elles ont appris que nous partions pour ne plus revenir à la Martinique. Elles chantonnent ce refrain"Adieu doudous, adieu chéi, tu vas nous quitté pou toujou, c'est pour la France tu vas pati, adieu doudous chéi." Je reste tard sur le pont car il fait chaud dans les batteries. Un bœuf a été abattu ce matin. 6 h 15 de mer.

 

Le samedi 10 juin 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Je suis réveillé‚ à 4 h pour les treuils. A 7 h appareillage. Tirs réels sur un rocher à la sortie de la baie de Gabion. A 10 h retour au mouillage où nous étions. Ce midi bœuf rôti caoutchouté riz au gras, ananas au sucre et jus. A 17 h appareillage. Ce soir ragoût de bœuf fayots blancs, nouilles à l'eau. Le travail presse toujours à l'atelier et il y fait chaud. Il fait beau en mer. Les vents ne sont pas très forts mais ils soulagent la lame un peu et le navire tangue légèrement. Les vents viennent par tribord. Il fait chaud dans les batteries mais ça peut aller.

 

Le dimanche 11 juin 1916.

Branle-bas à 6 h. Je suis levé depuis 4 h 30 car j'ai nuit franche étant exempt de quart. Un bœuf est abattu ce matin. Lavage de linge par bordée. Je ne puis lavé car il faut que j'aille au travail à la première heure. Ce matin je commence ma semaine de plat. Bœuf bouilli fayots blancs en salade, ananas au sucre et jus. A midi la terre est en vue par bâbord. Je vois deux bateaux, un à chaque pointe de la terre. Celui de gauche est au sec, échoué sur du sable ou un rocher. La terre est tout à fait plate. La mer est un peu houleuse, les vents sont plus forts qu'hier. Il tombe plusieurs grains dans la matinée, malgré ça le soleil tape dur. De midi 30 à 15 h au travail. Ce soir ragoût de bœuf, fayots blancs, riz à l'eau. Il fait chaud dans les batteries. Depuis ce matin nous marchons pas très vite, 45 tours, parce que nous attendons la "Gloire".

 

Le lundi 12 juin 1916.

Branle-bas à 6 h. Je suis levé depuis 4 h car j'ai nuit franche. Toute la nuit nous avons tourné 30 tours. La "Gloire" est en vue par bâbord, assez loin de nous. Nous augmentons l'allure. Un bœuf est abattu ce matin. Le travail à diminué d'intensité pour moi, je profite pour me faire avoir l'autorisation de laver mon linge dans un lavabo, la permission m'est accordée, seulement il fait chaud, il y a jusqu'à 50¡ de chaleur. Ce midi bœuf bouilli, riz au gras, nouilles à l'eau, jus. La "Gloire" est toujours à la même distance de nous. Elle fait la même route. La mer est belle quoiqu'un peu houleuse, les vents viennent de tribord avant et rafraîchissent le navire. Ce soir ragoût de bœuf fayots blancs riz à l'eau. Je me couche tard car j'ai nuit franche, pourtant il fait mauvais sur le pont, il pleut à torrents.

 

Le mardi 13 juin 1916.

Branle-bas à 6 h. Un bœuf est abattu ce matin. La mer est calme comme hier la houle est assez forte mais les vents sont absents. La "Gloire" est en vue dans la matinée, elle se rapproche de nous et échange des signaux. Je suis toujours occupé pour travailler sur les canots à vapeur, sur le pont aujourd'hui. Je suis forcé de me mettre nu-pieds et torse-nu à cause de la pluie qui ne cesse de tomber de la journée. La "Gloire" s'est écarté de nous, on ne la voit pas de l'après-midi. Ce soir fayots blancs en salade, bœuf bouilli, riz à l'eau et jus. Les hommes du pont ne touchent plus le jus de campagne le midi à partir de ce midi, nous avons dépassé les zones du tropique depuis hier cependant il fait bien chaud. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, nouilles au jus. Les jours ont allongé et les nuits rafraîchies. Les couleurs sont amenées à 19 h au lieu de 18 h 30 à Fort de France. Il fait meilleur la nuit dans les batteries.

 

Le mercredi 14 juin 1916.

Branle-bas à 6 h. Depuis 4 h je suis à me promener sur le pont. Un bœuf est abattu ce matin. Travaux divers à l'atelier. La "Gloire" est toujours par bâbord, nous faisons des exercices ensemble. Ce midi bœuf rôti fayots blancs, nouilles à l'eau, jus. Ce soir ragoût de bœuf, riz au gras. Il fait assez beau aujourd'hui.

 

Le jeudi 15 juin 1916.

Branle-bas à 6 h. La "Gloire" est toujours par bâbord. La terre aussi est en vue par bâbord. La "Gloire" se rapproche de nous puis marche devant, nous suivons son sillage. A h nous mouillons l'ancre aux îles Bermudes en face dearsenal de Hamilton. La "Gloire" est mouillée non loin de nous. L'heure est retardée de 23 minutes. Bas les feux dans la matinée. Il y a 3 navires de guerre, navires anglais, deux croiseurs et un cuirassé. Le plus petit des croiseurs est sur un dock, c'est le deuxième croiseur est le "H.M.S. Léviathan" navire amiral (vice amiral). Le cuirassé, est le "H.M.S. Caesar". Celui-ci est accosté à quai. Visites officielles dès l'arrivée au mouillage. Ce midi ragoût de bœuf aux pommes de terre, riz au lait. Travaux divers à l'atelier. Ce soir ragoût de bœuf aux macaronis, nouilles à l'eau. Le cercle lolos se réunit après le branle-bas, grand concert privé sur le pont milieu. Les couleurs sont amenées à 19 h. La ville de Halmilton est cachée derrière une colline, le port est grand et important au point de vue militaire, il y a un grand arsenal. Toute la côte est garnie de maisons blanches, dans certains endroits elles sont groupées et dans d'autres isolées. Nous faisons service au mouillage. Permissionnaires 2ème division de 16 h à 20 h. Tous les sabords sont ouverts cette nuit, il fait bon cette fois dans les batteries. 122 heures de mer.

 

Le vendredi 16 juin 1916.

Je suis réveillé‚ à 3 h 30 pour la machine à glace, 5 h 15 branle-bas. Travaux divers à l'atelier, ce midi singe purée, riz au lait, jus. Ce soir singe, bœuf frigorifié, fayots rouges et blancs, bananes. Une centaine d'hommes, y compris les maîtres, seconds, quartiers maîtres et matelots vont à terre à un pique-nique, offert par la municipalité aux marins français. Ce pique nique est une sorte d'excursion suivie d'un casse croûte à la campagne. Les excursionnistes partent du bord à midi et son de retour à 19 h 30. Ils vont et reviennent avec un yacht qui fait le service des îles. D'après ceux qui ont été, c'est merveilleux, tous sont satisfaits. Ces îles nommées "Îles Bermudes" sont toutes groupées. Elles sont au nombre de 365 îles et îlots et toutes réunies par des ponts qui les font communiquer. Ils ont visité des grottes remplies de trésors, pour aller à Halmilton (ville) ils sont passés entre les bancs de coraux, blancs et rouges, ces bancs de coraux sont nombreux dans la contrée, ce sont eux qui bouchent le chemin du Port, il y a un seul chenal et il est tracé entre les bancs de coraux. Permissionnaires 3ème division de 17 à 21 h.

 

Le samedi 17 juin 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Inspection à 9 h 45. Tous les mécaniciens et chauffeurs sont exempts d'inspection. Nous embarquons des vivres et cinq bœufs. Je mange aux rations pour faire 11 h à 14 h machine à glace, pourtant je suis de quart aux treuils. Ce midi ragoût de bœuf frigorifié aux fayots blancs. Je vais à terre avec l'équipe de football de 16 h à 23 h. Match avec une équipe du "H.M.S. Leviathan" cette équipe nous bat par 5 buts à 1. C'est une équipe d'élite. Permissionnaires 4ème division de 14 à 18 h. Le match à eu lieu de 16 h 30 à 18 h. Après le match nous restons avec nos équipiers adversaires puis nous partons en cœur à la maison du marin où nous sommes reçus avec la musique. Après avoir bu quelques verres nous revenons au terrain de football, la un théâtre est installé en pleine air, il y a quatre tentes de tendues où nous allons manger des sandwichs et nous désaltérer. Après le concert, cinéma. La musique n'a pas cessé de jouer depuis notre arrivée sur le terrain. Pendant tout le match de foot et cinéma. Danses après. Nous rentrons à bord avec ceux qui sont venus pour la fête.

 

Le dimanche 18 juin 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Bas l'ouvrage à 8 h service machine. Je termine ma semaine de plat ce matin. Ce midi, bœuf bouilli frigorifié, pommes de terre, fayots blancs en salade. Permissionnaires première division de 14 à 18 h. Je descends à terre. Ce soir ragoût de bœuf fayots blancs, confitures. A bord fête, banquet pour les maîtres et seconds maîtres et sous officiers du "Caesar". Les matelots ANGLAIS du même navire et quelques uns du "Léviathan" assistent au concert fait à bord. Thé au rhum et vin à discrétion sur le pont. C'est destiné pour les marins anglais et l'équipage. Plusieurs marins du bord montent sur la planche et envoient quelques chansons de leur répertoire, parmi les marins anglais il y en a quelques uns qui répondent au concert qui leur est offert et montent à leur tour sur la scène. La fête se termine à 23 h, dans les meilleures conditions, cependant quelques matelots du bord ont abusé de la liberté de cambuse et se sont montré de véritables gourmands et boit sans soif, car ils n'ont pas compris que c'était plutôt pour les marins anglais, ils n'ont vu que leur gorge.

 

Le lundi 19 juin 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Inspection en blanc à 10 h par L'Amiral Aury du croiseur cuirassé français "Gloire". Après son inspection il nous réunit pour nous féliciter de notre passé et exprimer la confiance qu'il a en nous car à midi nous serons sous les ordres de l'amiral anglais vu que nous marcherons avec la division Anglaise des Bermudes. Ce midi ragoût de mouton frigorifié haricots blancs, riz brûlé à l'eau. J'ai le quart de 11 h à 14 h à la machine à glace. La "Gloire" appareille vers 15 h 30. Ce soir ragoût de bœuf frigorifié aux pommes de terre, nouilles à l'eau. Un courrier par via New-York arrive et repart dans la matinée. Permissionnaires 2ème division de 16 h à 20 h. Équipe de foot à terre de 15h30 à 19h. Je ne puis descendre vu que je suis de service et j'ai mal à un pied. L'équipe se rencontre avec une équipe du "Caesar" sur le terrain de football. Les résultats sont 3 à 1. Trois buts marqués pour les Anglais et un pour l'équipe "Marseillaise".

 

 

Le mardi 20 juin 1916.

Branle-bas à 5 h 15. L'équipage prend la tenue de charbon pendant le déjeuner. Embarquement de 600 tonnes de cardiff par les moyens du bord. Tous les ouvriers sont exempts de charbon. Travaux divers à l'atelier. Ce midi bœuf rôti fayots rouges, fromages de hollande. L'embarquement de charbon se termine vers 19 h. Il n'y a pas de permissionnaires.

 

Le mercredi 21 juin 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Propreté générale du bâtiment. A 10 h, allumage des feux. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre en robe, salade russe(fayots blancs tomates et oignons à l'huile). A 14 h appareillage. Je suis aux treuils de 11 h à 15 h, nous ne portons plus le casque depuis que nous sommes aux Bermudes et cela me vaut un coup de soleil dans le coup, et un beau. Ce soir ragoût de bœuf frigorifié aux fayots, riz au lait. Il fait beau en mer. Nous avons les vents par tribord avant. Nous rencontrons beaucoup de SARGASSES, raisins du tropique et des poissons volants. L'heure est avancée de 10 minutes à midi. Il fait assez bon dans les batteries. Je suis exempt de quart à la mer, le travail ne presse pas cependant et je m'empresse de demander un poste pour faire le quart.

 

Le jeudi 22 juin 1916.

Branle-bas de combat réel à 5 h. Un cargo est en vue et nous avons mission de rechercher un croiseur auxiliaire boche, dans la brume il faut toujours prendre ses précautions. A 5 h 45 on fait rompre le poste de combat, le cargo est un Anglais. Ceux qui veulent se recoucher sont libres, le branle-bas est retardé d'une heure et donc fait à 7 h. Dans la nuit un homme meurt à l'hôpital du bord. C'est un matelot sans spécialité nommé Vénéguez. La mort est due à une rechute de congestion pulmonaire. Depuis notre départ des Bermudes nous marchons vive allure. Ce midi ragoût de bœuf fayots rouges, fromage de hollande et jus. Travaux divers à l'atelier, je suis toujours exempt de quart. Cet après-midi, l'équipage non de quart est réuni pour assister à l'inhumation du camarade décédé dans la nuit. A 16 h 15 on stoppe, l'équipage est réuni dans l'entrepont principal à bâbord, en face le sabord de charge. Tous les officiers, les deux commandants sont là. On amène le corps et on le place sur la glissière, il est sur un brancard enveloppé dans un pavillon national, il est débarrassé ensuite du brancard et du pavillon. Le commandant en chef nous fait une prose sur notre camarade que nous allons quitter à jamais, puis il récite avec nous la prière du marin au seigneur. Quand la prière est terminée, un dernier adieu est fait un commandement, la glissière est soulagée, bascule et le cadavre tombe à la mer le long du bord, un coup de sifflet d'honneur et voilà ce que l'avenir réserve aux marins. Nous restons dix minutes stoppés puis nous décrivons un grand cercle autour du lieu sinistre et la cérémonie est terminée, ensuite nous continuons le chemin de notre mission. Le cadavre était enseveli dans une toile cousue, une gueuse de 50 kg était avec lui dans la toile pour l'immerger. Les vents soulagent légèrement la lame et le navire tangue un peu. Ce soir singe purée, nouilles à l'eau. Je reste sur le pont jusqu'à 21 h 30. Il fait assez bon dans les batteries, on voit facilement que la zone des pays chauds est loin de nous. Un bœuf est abattu ce soir.

 

Le vendredi 23 juin 1916.

Je suis réveillé‚ à 2 h 45 pour faire le quart de 3 à 7 h au servomoteur. Branle-bas à 6 h. Nous avons fait demi-tour dans la nuit et nous avons diminué l'allure car le corsaire boche a été arrêté, nous avons reçu la nouvelle par la T.S.F.. Nous continuons quand même à bourlinguer la mer, en patrouille. Il fait assez beau en mer ce matin. Ce midi bœuf rôti, riz au gras, confitures et jus. Les vents sont plus forts que ce matin et ils viennent par bâbord avant, le navire tangue un peu. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, riz à l'eau. J'ai le quart de 14 h à 17 h au servomoteur. Les vents deviennent très violents à la tombée de la nuit. Je me mets à l'abri sur le pont où je reste jusqu'à 20 h, mais j'en vois de toute les couleurs, il éclaire, il tonne il pleut à torrents, tout fait rage, ça sent la tempête si ça continue. J'ai le quart de minuit à 3 h au servomoteur. A 3 h je monte sur le pont prendre un peu d'air. Rien dans la nuit noire. Il y a seulement une grande accalmie du temps, les vents ne sont plus si violents et viennent de tribord avant. Le navire qui tanguait et roulait bord sur bord hier soir est tranquille ce matin. Je retourne me coucher jusqu'au branle-bas. Un bœuf a été abattu ce soir.

 

Le samedi 24 juin 1916.

Branle-bas à 6 h. C'est étonnant ce qu'il fait beau ce matin, il n'y a plus qu'une houle de fond. J'ai le quart de 11 h à 14 h au servomoteur. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre, fromage et jus. Il n'y a plus qu'une légère houle de fond cet après midi, c'est une mer d'huile. Ce soir ragoût de bœuf fayots rouges, confitures. J'ai le quart de 21 h à minuit au servomoteur. A minuit je monte sur le pont, il fait beau temps.

 

Le dimanche 25 juin 1916.

Branle-bas à 6 h. J'ai le quart de 7h à 11h servomoteur. Ce midi thon en conserve, salade russe, haricots blancs, jus. Rien de nouveau dans l'après-midi, il fait beau. J'ai le quart de 17 h à 21 h. Ce soir, singe purée, nouilles à l'eau. Un bœuf est abattu ce soir.

 

Le lundi 26 juin 1916.

Je suis réveillé‚ à 2 h 45, j'ai le quart de 3 à 7 h servomoteur. Branle-bas à 6 h. A 7h moins le quart branle-bas de combat, un vapeur est en vue par tribord mais très loin. Nous envoyons une fusée lumineuse pour lui signaler de stopper. A 8 h on fait rompre, c'est un vapeur anglais, sorte de transatlantique, nous échangeons des signaux à bras avec lui. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre, confitures et jus. A midi 15 deux vapeurs sont en vue nous allons dessus, le plus loin marche assez vite mais nous ne tardons pas à le rattraper, c'est un courrier battant pavillon américain. Nous échangeons avec lui des signaux internationaux. Puis nous changeons de cap nous allons sur le deuxième vapeur. Celui-ci est un cargo anglais. La cheminée est tout à fait sur son arrière il ressemble à un pétrolier. Après avoir échangé des signaux à bras nous nous éloignons de lui et reprenons notre route. J'ai le quart de 14 h à 17 h servomoteur. Ce soir fayots rouges singe, riz à l'eau. Gymnastique suédoise pour les hommes du pont, après la douche. Dans la nuit j'ai le quart de minuit à trois au servomoteur.

 

Le mardi 27 juin 1916.

Branle-bas à 6 h. Ce midi singe purée, fromage et jus. J'ai le quart de 11 h à 14 h servomoteur. Vers 17 h nous arraisonnons un cargo, battant pavillon anglais, une baleinière va à bord, il a 3 mâts et une cheminée. Il fait un temps superbe en mer. Gymnastique suédoise pour les hommes du pont. Douches pour ces mêmes hommes après. Visite sanitaire par division. Exercices divers pour les hommes du pont. Ce soir thon pommes de terre enrobe, salade russe. Un bœuf est abattu ce soir. J'ai le quart de 21 h à minuit. Il fait une chaleur torride dans les batteries. A minuit je monte sur le pont humer un peu d'air puis je reste à contempler les flots un instant. Le sillage du navire cette nuit offre un joli coup d'œil, quand sur l'avant la lame se renverse en frappant sur les parois de la coque les lueurs flottillent parmi les lames, je parle des lueurs phosphorescentes que renferment la mer dans certains endroits. Ici sur ce passage et à cette heure c'est magnifique, la nuit est noire et quelques étoiles seulement témoignent de ce fait et de mon admiration des flots tantôt argentés, tantôt dorés. Ils sont argentés quand la lame se renverse, les lueurs phosphorescentes se mélangent avec l'écume, puis ces mêmes lueurs se dégagent de l'écume et deviennent dorées, on croirait au reflet des étoiles, c'est un champ immense de points d'or. Un poète rêverait de ce spectacle. Enfin il est plus d'une heure et demie du matin quand je descends me coucher.

 

Le mercredi 28 juin 1916.

Branle-bas à 6 h. A 7 h nous arraisonnons un cargo, c'est un Danois, il porte inscrit en gros caractère sur sa coque, son nom ainsi que deux emblèmes de sa nationalité. Je ne puis lire son nom nous sommes encore trop loin et il faut que je descendre, j'ai le quart de 7 h à 11 h au servomoteur. Nous stoppons et une baleinière va à son bord. Ce midi, bœuf bouilli, pommes de terre, fromage et jus. A 14 h visite sanitaire. A bord une chorale s'est fondée entre matelots, j'en fait partie, répétition de 13 h à 14 h. La terre est en vue par bâbord. Nous croisons un cargo battant pavillon danois, il passe par tribord et salue. A 17 h nous stoppons pour prendre le pilote. A 18 h 30 nous mouillons l'ancre où nous étions l'autre fois aux îles Bermudes. J'ai le quart de 17 h à 21 h au servomoteur. Ce soir, bœuf rôti, fayots rouges en salade, confitures. Je me couche tard, j'ai nuit franche car le service au mouillage est affiché et assuré par bâbord qui est de quart. Nous avons mis bas les feux aussitôt mouillé. 172 h 30 de mer.

 

Le jeudi 29 juin 1916.

Branle-bas à 4 h 15. L'équipage prend la tenue de charbon pendant le déjeuner. Embarquement par les moyens du bord, 700 tonnes de cardiff. Le "Caesar" est mis à flot ce matin, il sort de dessus le dock. Le "Léviathan" n'est plus là. Ce midi, rôti de bœuf, fayots blancs, fromage de hollande et jus. Je suis exempt de charbon, ainsi que le personnel de l'atelier. Travaux divers en bas. Je suis de service aux treuils aujourd'hui. Ce soir ragoût de bœuf, fayots blancs, riz à l'eau. L'embarquement de charbon se termine assez tard, le branle-bas du soir est sonné à 21 h 30. Il est aussi plus de minuit quand je suis libre avec les treuils. Il fait très chaud dans les batteries, le charbon dégage de la chaleur. Il n'y a pas de permissionnaires aujourd'hui, hier non plus, sauf les officiers.

 

Le vendredi 30 juin 1916.

Je suis réveillé‚ à 4 h pour le service des treuils. Branle-bas à 6 h, il est retardé de 3/4 d'heure pour cause de l'embarquement de charbon d'hier. Propreté générale dans la matinée, travaux divers à l'atelier. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre en robe, fromage et jus. Permissionnaires 1ère division de 16 h 30 à 20 h 30. Je suis de sortie et je vais à terre. L'équipe de sport descend aussi. Je fais une partie de water-polo avec une équipe qui débute à bord contre une excellente équipe du cuirassé anglais "Caesar", cette équipe nous bat par 4 buts à 2, les équipiers sont solides et nagent avec une vitesse qu'aucun de nous pouvait suivre. Après la partie de water-polo, nous nous changeons à bord du cuirassé qui est accosté à quai, puis je rejoins l'équipe de football sur le terrain. Après avoir frappé un peu sur la balle je vais manger à la maison du marin pour revenir à 20 h 30 à l'embarcadère pour prendre la chaloupe. En embarquant, je tombe maladroitement avec le roulis, je me fais bien mal à la jambe gauche. En entrant à bord, changement de hamac pour les deux bordées. Je monte sur le pont avec un collègue pour faire ce travail. Comme nous gréons notre hamac en causant, il était environ 21 h 30, nous entendîmes crier "un homme à la mer", puis celui ci: "au secours" un matelot s'est jeté de dessus le pont et a secouru celui qui était tombé accidentellement sans son sauveteur il se serait peut-être noyé car il ne savait pas nager, tous les deux ont été montés à bord, la victime a été envoyée à l'infirmerie pendant que l'autre était félicité et envoyé se changer. Après coup je suis descendu me coucher.

 

 

Date de dernière mise à jour : 14/09/2020

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