Créer un site internet

Septembre 1916

Le vendredi 1er septembre 1916.

Branle-bas à 6 h. Je suis réveillé à 2 h 45, j'ai 3 à 7 h servomoteur. Rien en vue ce matin. Ce midi ragoût de bœuf aux pommes de terre, fromage et jus. L'heure est retardée de 20 minutes. J'ai le quart de 14 à 17 h. Ce soir, bœuf bouilli, riz à l'eau. Vers 16 h 30 deux cuirassés américains ont été en vue, nous changeons de route pour ne pas les gêner dans leurs évolutions. Un bœuf est abattu pour demain. Vers 18 h nous voyons un vapeur américain remorqué deux énormes chalands de charbon, derrière un bateau feu puis derrière ce bateau feu un feu tournant d'un phare de terre. J'ai le quart de minuit à trois 3 h au servomoteur.

 

Le samedi 2 septembre 1916.

Branle-bas à 6 h. Dans la nuit un bœuf est crevé, il est dépouillé et jeté à la mer. A 6 h un cargo battant pavillon américain est près de nous, nous échangeons avec lui des signaux, puis reprenons notre route. Vers 16 h 30 nous croisons un cargo battant pavillon belge, nous échangeons des signaux puis nous lui parlons par le porte voix, il nous dit qu'il a un chargement de blé. Ce soir ragoût de bœuf et singe aux fayots blancs, riz au lait. La mer est très calme, c'est une mer d'huile mais la brume apparaît dans la soirée. Nous voyons plusieurs navires de guerre américains, nous sommes presque à l'entrée de New-York et ces navires font des exercices. Il y a un grand va et vient de bateaux dans ces parages. J'ai le quart de 21 h à minuit. Il fait toujours très chaud la nuit dans les batteries.

 

Le dimanche 3 septembre 1916.

Branle-bas à 6 h. Il y a un peu de vent ce matin. J'ai le quart de 7 à 11 h. Ce midi, ragoût de bœuf fayots blancs, confitures et jus. Un peu de clapotis ce midi, le navire roule. Nous rencontrons une grande quantité de navires de commerce de toutes les nationalités, (sauf de nos ennemis). Avec chacun d'eux nous échangeons des signaux internationaux puis si la réponse est satisfaisante nous continuons notre route, enfin avec certains nous causons au moyen du porte-voix. Dans toute la journée nous rencontrons au moins une trentaine de cargos ou paquebots. Ce soir ragoût de bœuf et singe aux pommes de terre, nouilles. J'ai le quart de 17 à 21 h, il fait une nuit très noire.

 

Le lundi 4 septembre 1916.

Branle-bas à 6 h. Je suis réveillé à 2 h 45, j'ai le quart de 3 à 7 h. Un bœuf est abattu ce matin. Ce midi singe purée, fromage puant et jus. Nous avons augmenté l'allure et pris la route des Bermudes depuis hier sur rappel de l'Amiral anglais. Il fait très mauvais ce matin, l'eau embarque sur le pont. J'ai le quart de 14 h à 17 h. L'heure est avancée de 10 minutes. Ce soir bœuf pommes de terre, riz au lait. J'ai le quart de minuit à 3 h. Nous marchons toujours bonne allure. Un bœuf a été abattu ce soir.

 

Le mardi 5 septembre 1916.

Branle-bas à 6 h. La mer s'est beaucoup calmée, il fait à peu près beau ce matin, nous ne rencontrons plus de bateau. Ce midi, ragoût de bœuf aux macaronis, confitures et jus. J'ai le quart de 11 à 14 h. L'heure est avancée de 27 minutes. A 14 h en montant sur le pont je vois la terre par bâbord, c'est les Îles Bermudes. Je me place tout à fait sur l'étrave du navire et rêve un peu, la mer est redevenue très calme, c'est joli de voir le nez du bateau fendre l'eau ainsi. Les méduses, les aiguillettes, les poissons volants ne manquent pas dans la contrée, je m'amuse de les voir s'effaroucher à l'approche du navire, c'est rigolo, je crois bien que je redeviens enfant. Ce soir bœuf bouilli pommes de terre, fromage puant. A 18 h nous jetons l'ancre en rade de Hamilton à l'endroit des précédents mouillages. Depuis 14 h jusqu'à l'arrivée au mouillage je suis resté sur le pont, en approchant de terre j'ai pu admirer les fins détails de la côte. Cette côte ne ressemble pas aux autres, elles est beaucoup plus fine, pittoresque et riche, du chenal où nous sommes c'est magnifique, toutes ces terres séparées et reliées par des ponts ou sorte de chaînes de ponts, ces petites maisons toutes blanches situées sur chaque îlot donnent à l'œil un superbe décor. Encore 175 h 45 de mer.

 

Le mercredi 6 septembre 1916.

Branle-bas à 4 h 15. Je suis réveillé depuis 3 h 15 pour le service des treuils. Embarquement de charbon par les moyens du bord. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre, fromage, fayots blancs en salade et jus. Cet après-midi la séance continue, embarquement d'eau. Je suis exempt pour le charbon. Ce soir, ragoût de bœuf et singe aux pommes de terre, riz au lait. Nous avons eu comme repos de 11 à 12 h 30 et bas l'ouvrage à 18 h. Je ne sais pas mais je crois que depuis 5 h 15 la mise à l'ouvrage, ça peut compter. Il fait toujours très chaud dans les batteries.

 

Le jeudi 7 septembre 1916.

Branle-bas à 4 h 30. Un bœuf est abattu ce matin, la séance d'hier continue. Ce midi, bœuf bouilli pommes de terre, riz et confitures. Le pain est rationné à partir d'aujourd'hui afin d'éviter le gaspillage. Quand je suis arrivé au plat ce midi, il y en avait 6 sur 9 à en avoir mangé et il restait environ 100 grammes de pain pour les 3 autres, je n'ai pu en avoir à la cambuse, et j'ai du faire régime sec, c'est assez intéressant, avec ce régime on ne craint pas l'indigestion. Cet après-midi continuation d'embarquements divers, charbon, eau, vivres, combustibles. Le charbon est fini à 20 h. Ce soir ragoût de bœuf et singe aux pommes de terre. Il fait très chaud dans les batteries. Permissionnaires 4ème division de 17 à 21 h.

 

Le vendredi 8 septembre 1916.

Branle-bas à 5 h 15. A 6 h 15 poste de lavage. Propreté du navire toute la matinée, embarquement de bœufs ce matin. Ce midi bœuf bouilli, pommes de terre, fromage puant et jus. A 11 h allumage des feux 2ème quart. Le "Bermudian" venant de New-York nous apporte un courrier. J'ai une lettre de ma famille. A 15 h appareillage. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, confitures. A 19 h on voit encore la terre par bâbord. Je suis maintenant du 2ème quart et j'ai de 21 h à minuit dans la machine tribord. Nous tournons 65 tours et faisons cap sur St Pierre et Miquelon où nous devons accomplir une mission et faire notre dernière étape avant la rentrée en france. Malgré la fatigue qui est générale parmi l'équipage, il faut voir l'entrain qu'a donné cette nouvelle à bord. Tout le monde est heureux, sur chaque visage rayonne une lueur d'espérance, le courage redouble et chacun fait hardiment face aux douleurs quotidiennes. Quel beau rêve que de caresser celui de revoir bientôt le beau ciel de France, après tant de peines sous ce brûlant soleil des tropiques ou l'homme ne vit que pour souffrir, la vie à bord d'un navire comme le nôtre pendant les temps qui courent est loin d'être enviable. Le réconfort et le repos ne sont pas connus, le surmenage est seul maître des choses. Enfin tout ce cauchemar va bientôt disparaître, je ne veux pas dire qu'en France nous serons sans soucis, non car je sais trop bien que nous avons plusieurs mois bien pénibles à passer; mais là nous serons chez nous, près des nôtres et au moins nous pourrons satisfaire à bien des besoins qu'il ne nous est pas permis ici. Allons encore une quinzaine et le ouf ! .. de satisfaction s'échappera de plus de 620 poitrines. A minuit rien de nouveau sur le pont, il fait un clair de lune superbe, mais ça n'empêche pas de faire chaud dans les batteries encore cette nuit.

 

Le samedi 9 septembre 1916.

Branle-bas à 6 h. Le navire roule légèrement, il y a un peu de houle à par ça le temps est beau. J'ai le quart de 7 à 11 h, machine tribord. Ce midi, bœuf bouilli pommes de terre, fromage et jus. L'heure est avancée de 10 minutes. Il pleut une pluie fine toute l'après-midi. Ce soir, singe purée, fromage. Je termine ma semaine de plats ce soir, je ne suis pas fâché. J'ai le quart de 17 à 21 h machine tribord, il fait très chaud ainsi que la nuit dans les batteries, il n'y a pas moyen de dormir. A 21 h je monte sur le pont, rien de nouveau, il fait un beau clair de lune. Un bœuf a été abattu ce soir.

 

Le dimanche 10 septembre 1916.

Branle-bas à 6 h. Je suis réveillé à 2 h 45, j'ai le quart de 3 à 7 h. Nous marchons toujours à la même vitesse, 65 tours. Il fait toujours très chaud en bas. Ce midi bœuf bouilli, pommes de terre, confitures et jus. Ce soir ragoût de bœuf et singe aux pommes de terre, riz à l'eau. La mer est assez agitée depuis ce midi, le navire tangue passablement. Le temps s'est beaucoup rafraîchi dans la journée. J'ai le quart de minuit à 3 h. A 3h je monte sur le pont, je n'y suis pas longtemps car je suis vite saisi par le froid, il fait un vent féroce à tout démâter qui soulage la lame et qui rend la mer mauvaise. Je crois que nous sommes dans une zone de ballottage, le navire se croit à la fête, il pique du nez, il roule, il danse enfin la gigue à sa façon. Bien vite je descends me coucher car il fait bon dans les batteries cette nuit.

 

Le lundi 11 septembre 1916.

Branle-bas à 6 h. La mer est très agitée encore ce matin, les vents sont aussi fort que cette nuit et nous les prenons en cap, nous sommes sérieusement ballottés. La lame est creuse et longue, la mer écume, si ça continue nous allons aborder la tempête. Vers 9 h 30 nous croisons un cargo anglais d'un fort tonnage, il a une cheminée et deux mâts munis de T.S.F. Nous lui communiquons puis reprenons notre route. Ce midi morue bouillie pommes en robe, fromage et jus. L'heure est avancée de 8 minutes. J'ai le quart de 11 à 14 h. Il fait très froid sur le pont, les effets de laine sortent des sacs. La température a beaucoup descendue. Dans les machines on s'en ressent également, de 43° qu'elle était en partant des Bermudes elle est aujourd'hui à 32°. Avec cette température encore modérée on peut faire encore le quart. Ce soir jambon purée, riz au lait. Il est abattu 2 bœufs ce soir. J'ai le quart de 21 h à minuit toujours machine tribord. Il fait toujours mauvais mais ça n'a pas augmenté. Les vents sont forts quand-même. A minuit rien de nouveau il ne fait pas si clair que les nuits précédentes. Il fait très froid cette nuit.

 

Le mardi 12 septembre 1916.

Branle-bas à 6 h. Les effets de laine sont de rigueur aujourd'hui, ah la la qu'il fait froid sur le pont. J'ai le quart de 7 à 11 h. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre, confitures et jus. La terre est en vue depuis 10 ou bien 11 h, on fait cap dessus. A 15 h 30 nous mouillons l'ancre en rade de St Pierre et Miquelon. A 17 h permissionnaires 1ère division. Je bondis aussitôt ayant entendu la sonnerie. On nous débarqué à la cale Clément, à 20 h 30 nous embarquons du gouvernement. Du premier aspect, en rade le pays semble pauvre, la côte rongée par la mer, la terre inculte par les vents qui s'abaissent sur elles avec une température souvent inférieur à zéro degré pendant de longs mois de l'année, il faut scruter minutieusement la côte pour y trouver des arbres ou de la verdure, et cependant il y en a mais il faut dire la vérité, il n'y en a pas partout dans l'île. La cale Clément est environ à un kilomètre de la ville de St Pierre ce qui permet de voir un peu les quelques points du pays. Les maisons sont la majeure partie construite en bois, certaines ont des fondations en pierres mais beaucoup sont seulement surélevées du sol avec des pilotis en bois. A Saint-Pierre, là il y a des constructions en pierres mais faut-il dire qu'il y en a autant en bois, l'ensemble est joli et coquet. J'ai eu l'occasion d'entrer dans plusieurs maisons de commerce ou particulier, là je me sentais vivre, je me figurais dans un de ses coins de la franc, les gens sont très gentils, accueillants et affables. Dans ce pays, ce n'est plus le teint mat et bronzé des coloniaux, c'est un teint rose et frais qui respire la santé. Les gens sont aussi bien vigoureux, actuellement ils sont vêtus assez légèrement, c'est la fin de l'été. Je mange à terre ce soir, le coût de la vie n'est pas très élevé, je m'attendais à ce que je paie d'avantage. L'apéritif 0,F 50 et 1 F 75 le dîner, potage, côtelettes de mouton, pommes de terre à l'étouffée, salade, pommes et café. Ici tous les produits sont français. Enfin je rentre à bord heureux de ma soirée. Il y a quelques permissionnaires qui sont légèrement émus, c'est aussi excusable car depuis si longtemps que tout nous manque, un rien excite un homme. A bord service dédoublé en bas. A terre il fait moins froid qu'en rade. Nous sommes mouillés en rade de St Pierre et de tous les bords il y a la terre, d'un côte Saint-Pierre, de l'autre l'île aux Chiens puis des petits bouts de terre, sorte de rochers. Nous embarquons 110 tonnes d'eau douce dans la nuit. Un bœuf est abattu ce soir.

 

Ile aux chiens

 L'lle aux Chiens Saint Pierre & Miquelon

 

St pierre football

 

 

Le mercredi 13 septembre 1916.

Branle-bas à 5 h 15. J'ai le quart de 5 à 7 h au tableau de distribution. Nous sommes toujours sous les feux. Travaux divers à l'atelier, chacun son poste à 6 h 15. Dans la matinée, nous embarquons quatre blessés et malades venant de l'hôpital de St Pierre. Nous embarquons aussi de l'or de la colonie. Vers h on pousse les feux. A 12 h appareillage. Ce midi, bœuf bouilli fayots blancs en salade, fromage et jus. Il y a toujours de grands vents, le soleil réchauffe un peu, enfin il fait à peu près beau. J'ai le quart de 14 h à 17 h, machine tribord, nous tournons 74 tours. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, riz au lait. Sapristi ! qu'il fait froid sur le pont ce soir, j'ai le quart de minuit à 3 h. A minuit je vois un feu par bâbord, à trois heures je vois également un feu tournant par bâbord, nous ne sommes pas très loin de la terre. Je ne reste pas longtemps sur le pont car je ne puis résister par le froid, pourtant je suis vêtu chaudement dans la laine. La mer a changé un peu dans la nuit, nous sommes un peu ballottés.

 

 Port st pierre

Port de Saint Pierre & Miquelon

 

Le jeudi 14 septembre 1916.

Branle-bas à 6 h. Ah! la la ce qu'il fait froid dans les batteries la nuit, on ne voit plus un bras ou une jambe sortir des hamacs, c'est tout juste si on voit une tâte, chacun se ratatine, c'est rigolo quand on y pense, naturellement je suis comme les autres je fais pareil. Les flâneurs n'excèdent pas sur le pont la journée, tout le monde vient à l'abri dans les batteries qui se transforment en promenoirs. A h nous mouillons l'ancre dans la rade de Saint Jean de Terre-neuve (Ste John-Newfoudland). Nous enfourchons pour ne pas dériver aux courants mais les chaînes sont froides elles aussi dans leur puits. La chaîne de bâbord casse à une maille du 2ème maillon. Aussitôt le scaphandrier est appelé et descend la repêcher. Il y a 16 mètres de fond, je vais à la corvée de scaphandre faisant partie des élèves. A 11 h 30 l'ancre est repêchée. Il fait très froid dans la chaloupe et les mains dans l'eau je pense aux pauvres pêcheurs de morues. Ce qu'ils doivent souffrir pendant leur dure campagne de 6 ou 9 mois l'an, eux qui sont aux risques et périls de leur vie dans cet océan de glace, à la merci de la gueuse dans une frêle embarcation perdus sur les bancs dans les brumes opaques qui souvent leur vaut l'existence. Pauvres pêcheurs! .. Pour entrer dans la rade, il faut franchir une passe naturelle dans un endroit, il n'y a pas deux fois la largeur du navire, ce sont deux montagnes qui forment ce détroit. A droite en entrant il y a une citadelle qui sert de sémaphore, cette citadelle est située sur le faîte de la montagne. Pendant que nous repêchons l'ancre, à bord il y a embarquement de charbon par les moyens du bord. Le charbon est amené par des petits chalands au nombre de trois ayant 40 tonnes chacun. Ce midi bœuf bouilli, pommes de terre, confitures et jus. Nous mettons bas les feux dans l'après-midi. L'embarquement du charbon continue cet après-midi. Permissionnaires 3ème division de 17 à 20 h 30. Quand les permissionnaires ont passé l'inspection, j'apprends que la 1ère division peut descendre à terre, je ne fais qu'un bond, je crois bien que je n'ai jamais été aussi vif à me laver et me changer, le temps que le canot à vapeur fasse un voyage je suis paré et descends à terre. La ville est assez étendue, mais les rues montent et descendent partout. Les maisons sont presque toutes bâties en bois. Il y a beaucoup d'églises dans ce pays, il y en a presque dans chaque rue. Comme ville, en résumé ça ressemble beaucoup à Halifax. Le cours des monnaies est comme au Canada, c'est les dollars, les cents et l'argent anglais. L'argent français a court aussi mais dans les grands magasins seulement, la pièce de 5$ est prise pour 75 cents, le franc pour 0,F 75. La vie est très chère ici. En ville il y a des tramways électriques, et pour l'île un chemin de fer. A 20 h 30 j'embarque dans le vapeur et je rentre à bord. Ce soir un bœuf est tué. Dans l'après-midi, rentre en rade le paquebot anglais "Stephano" de Liverpool.

 

St john port 

Port de Sainte John-Newfoudland

 


 

St john

Sainte John-Newfoudland

 

Le vendredi 15 septembre 1916.

Branle-bas à 5 h 15. A 6 h corvée de charbon à l'appel, puis la séance recommence. Je suis de service aux treuils aujourd'hui. Ce midi bœuf bouilli fayots en salade, fromage et jus. Nous embarquons deux canots à vapeur pour la France, ces canots sont du "Friend" croiseur loger français qui est actuellement sur les côtes du Maroc. L'embarquement du charbon se termine vers 14 h 30. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, confitures. Permissionnaires bâbordais de 15 à 20 h 30. Je termine mon service de treuils à 21 h.

 

Le samedi 16 septembre 1916.

Branle-bas à 5 h 15. A 5 h allumage des feux 2ème quart. A 6 h chacun son poste. A h appareillage. Ce midi morue bouillie pommes de terre, fromage et jus. Le pain est très mauvais, la farine est gâtée, échauffée et ne peut se travailler, nous sommes réduits à épuiser ce stock de farine, c'est la seule qui est à bord. En mer il y a de grands vents, la mer est agitée. Vers 13 h nous croisons un bateau à vapeur, nous échangeons avec lui des signaux internationaux puis continuons notre route. J'ai le quart de 14 à 17 h, machine tribord, 74 tours. Deux bœufs sont abattus ce soir. Ce soir jambon fayots blancs au jus, nouilles à l'italienne. J'ai le quart de minuit à trois heures machine tribord. Il fait très mauvais, le navire est violemment secoué, on y fait pas grands cas par l'habitude pourtant il faut le voir piquer du nez dans la plume, par moment il y a des embruns qui balaient totalement le pont avant. Rien de nouveau dans la nuit, il fait très noir.

 

Le dimanche 17 septembre 1916.

Branle-bas à 6 h. Un ouvrier tourneur se coupe l'index de la main gauche à l'atelier. La mer est toujours aussi méchante. Ce midi, bœuf bouilli pommes de terre et jus, fromage. J'ai le quart de 11 à 14 h. L'heure est avancée de 25 minutes. Ce soir ragoût de bœuf aux fayots blancs, riz au lait. J'ai le quart de 21 h à minuit. Il fait un peu moins froid vers la fin de la journée, les vents sont toujours aussi forts et viennent par bâbord, la mer est très mauvaise, le navire danse de plus en plus. Il y a encore quelques malades, ils sont d'un nombre assez restreint, mais les pauvres font pitié à voir. Depuis notre départ de St Jean il y a de la brume.

 

Le lundi 18 septembre 1916.

Branle-bas à 6 h. La mer est un peu moins mauvaise, le temps est très clair ce matin, les vents sont sensiblement moins forts. J'ai le quart de 7 à 11 h. Deux bœufs sont abattus ce matin. Ce midi ragoût de bœuf aux macaronis, confitures et jus. L'heure est avancée de 20 minutes. Visite sanitaire cet après-midi. J'ai le quart de 17 à 21 h. Ce soir jambon fayots blancs au jus, nouilles. Rien de nouveau dans la nuit, nous tournons toujours 75 tours. La chaleur commence à revenir dans les batteries, elle se fait sentir cette nuit.

 

Le mardi 19 septembre 1916.

Branle-bas à 6 h. Je suis réveillé à 2 h 45, j'ai le quart de 3 à 7 h machine tribord. Il pleut ce matin. La mer est devenue assez tranquille, il ne reste plus que la houle de fond qui fait rouler le navire. Ce midi, bœuf bouilli pommes de terre en robe, fromage et jus. L'heure est avancée de 30 minutes. J'ai le quart de 14 à 17 h. Ce soir ragoût de bœuf aux haricots blancs, fromage. J'ai le quart de minuit à 3 h.

 

Le mercredi 20 septembre 1916.

Branle-bas à 6 h. La mer est toujours belle mais la houle ne diminue pas, le navire roule bord sur bord. Ce midi ragoût de bœuf aux macaronis, confitures et jus. J'ai le quart de 11 à 14 h. L'heure est avancée de 30 minutes. Ce soir morue bouillie fayots rouges en salade, riz au lait. J'ai le quart de 21 h à minuit. Vers 18 h nous croisons un cargo anglais, nous échangeons des signaux internationaux au moyen des pavillons. A minuit rien en vue, le navire tangue et roule toujours.

 

Le jeudi 21 septembre 1916.

Branle-bas à 6 h. J'ai le quart de 7 à 11h. A 11 h nous sommes remplacés par les bâbordais, le service en deux quarts commence ce midi aux service machine. Nous allumons plusieurs chaudières en supplément puis à midi l'allure est augmentée de 75 à 90 tours. Ce midi l'heure est avancée de 30 minutes. Ragoût de bœuf aux macaronis, fromage et jus. J'ai le quart de 14 h à 17 h au servomoteur. Ce soir ragoût de bœuf aux fèves, nouilles. Les fèves sont bonnes pour une fois! .. Nous croisons un ou deux voiliers dans l'après-midi. A 22 h 30 je suis réveillé avec les tribordais, j'ai à manger du singe froid et un demi quart de vin, puis 23 h à 5 h au servomoteur. Il fait le même temps qu'hier. L'allure est augmentée de 6 tours à 4 h.

 

Le vendredi 22 septembre 1916.

Branle-bas à 6 h. Les mécaniciens et chauffeurs de tribords restent couchés dans leurs hamacs et dans leurs box jusqu'à 8 h. Dans la matinée nous obliquons à droite pour correspondre au moyen du scot et les projecteurs avec la "Gloire" et "l'Amiral-Aube", nous nous croisons vers 10h30. Ce midi bœuf bouilli fayots rouges en salade, fromage et jus. Nous croisons un voilier. L'allure a été augmentée dans la matinée, nous tournons 107 tours jusqu'à 13 h. J'ai le quart de 11 à 14 h. L'heure est avancée de 10 minutes. La "Gloire" est par bâbord à environ 10 milles, nous avons diminué l'allure depuis 13 h, nous ne tournons plus que 86 tours. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, riz au lait. J'ai le quart de 17 à 23 h. L'heure est avancée de 52 minutes dans la soirée. A 23 h singe froid, demi quart de vin. Rien dans la nuit, sauf la "Gloire" et "l'Amiral-Aube" qui sont avec nous.

 

Le samedi 23 septembre 1916.

Je suis réveillé à 4 h 30, j'ai le quart de 5 à 11 h, servomoteur. A l'horizon deux feux de terre. A 7 h l'heure est avancée de 60 minutes. A 9 h nous accostons le coffre en rade de Brest. Encore quelques heures de mer et enfin nous voici au terminus. Ce midi, ragoût de bœuf aux macaronis, fromage et jus. Il y a des lettres vers midi. Permissionnaires bâbordais, de 12 h 30 à 21 h, deuxième section d'incendie, 4 quartiers maîtres mécaniciens dans les jeunes promus et les derniers embarqués sont désignés pour partir en campagne aux Antilles, demain avec la 4ème division légère. Parmi eux il y a deux de mon pays, dont un de mes grands amis. Cet après-midi je travaille au démontage de la machine à glace jusqu'à 17 h. Cette machine est destinée pour le croiseur cuirassé "Dupetit-Thouars" qui doit remplacer la "Marseillaise" avec la division anglaise des Bermudes. Ce soir, jambon fayots rouges, confitures.

 

Le dimanche 24 septembre 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Permissionnaires tribordais de 7 h 30 à 21 h. 7ème section d'incendie. Je reste à bord aujourd'hui, je suis de terre mais fatigué. Ce midi, bœuf bouilli (frigo) pommes de terre, confitures. Cet après-midi, j'emploie mon temps à mettre à jour ma correspondance. Les 4 quartiers maîtres mécaniciens qui sont désignés pour les Antilles embarquent sur le "Jeanne D'arc" qui est chef de division et a l'Amiral à bord. Deux hydravions survolent l'entrée de Brest, le goulet et scrutent la mer un peu au large pour s'assurer que rien n'enraie le passage des croiseurs. A 13 h 30 le "Jeanne D'arc" appareille, à 14 h 30 le "Montcalm" à 15 h 30 le "Gueydon". Ce soir ragoût de bœuf aux haricots rouges, riz au lait. Rien de nouveau par ailleurs, il fait beau aujourd'hui.

 

Le lundi 25 septembre 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Embarquement de charbon par les moyens du bord, 800 tonnes de cardiff. Ce midi, ragoût de bœuf aux haricots rouges, fromage. A midi, paiement de l'équipage, je touche 50 F Travaux divers à l'atelier dans la matinée et l'après-midi entretien du matériel. Je suis exempt de charbon et fais le service aux treuils d'embarcation aujourd'hui. Ce soir jambon, purée, confitures. Changement de hamacs pour les deux bordées, branle-bas du soir à 20 h 30. Permissionnaires bâbordais de 17 à 21 h. Je reste aux treuils jusqu'à 23 h, après le canot major.

 

Le mardi 26 septembre 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Lavage de linge, des hamacs, des grands sacs jusqu'à 8 h 30. Corvée de peinture. Entretien du matériel à l'atelier. Ce midi, bœuf bouilli pommes de terre, fromage. Cet après-midi je suis occupé à la réparation des rambardes. Un grand cargo appareille pour faire des essais de canons en grande rade. Ce soir, ragoût de bœuf aux fayots rouges, riz au lait. Permissionnaires tribordais de 18 à 21 h, 3ème section d'incendie. Il me reste plus que pour une heure de peinture. Il pleut ce soir.

 

Le mercredi 27 septembre 1916.

Branle-bas à 5 h 15. A 6 h 15, deux hommes de corvée vont dans le port, débarquer et embarquer du matériel de guerre pour les nations alliées. Ce midi, mouton rôti, purée, confitures. Propreté et entretien du matériel. Cet après-midi un cargo essaie un canon en grande rade. Corvées du pont et de la machine pour le port. Ce soir ragoût de bœuf aux haricots rouges, riz au lait. Permissionnaires 4ème division de 16 à 21 h. Il y a des navires de plusieurs puissances qui débarquent et embarquent du matériel pour les fronts de guerre, russes, anglais, et belges, roumains. Il y a actuellement un trafic formidable.

 

Le jeudi 28 septembre 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Propreté générale du bâtiment, conseil d'avancement pour toutes les spécialités. Les mécaniciens et chauffeurs passent dans l'après-midi. Corvées pour le port de 6 h 30 à 23 h. Ce midi, purée, bœuf bouilli, riz au lait. Permissionnaires tribordais de 16 à 21 h. Je descends à terre et rentre à 21 h avec les autres.

 

Le vendredi 29 septembre 1916.

Branle-bas à 4 h 45. Corvées dans le port. Entretien général du bâtiment. Je suis de service aux treuils aujourd'hui. Ce midi, ragoût de bœuf fayots rouges, camembert. Ce soir, raie au four, pommes de terre en robe, riz au lait.

 

Le samedi 30 septembre 1916.

Branle-bas à 5 h 15. Propreté générale jusqu'à h. A 10 h, inspection passée par l'Amiral de la "Gloire". Pendant le dîner le scribe prend les noms des permissionnaires de longue durée, de la première division. Étant de la 1ère, je laisse là mon morceau de bœuf et je bondis au bureau donner mon adresse. A 15 h départ du bord des permissionnaires de longue durée, ceux qui prennent le train direction de PARIS. Je ne suis pas le dernier à partir et marche d'un pas allègre car j'ai ma permission de 12 jours dans ma poche à destinations de Rennes et le Mans.

 

Ici je m'arrête cher cahier, témoin de ma vie pendant 9 mois en dehors des mers de france. Peut-être te reprendrai-je, j'ose espéré que non, ou du moins pas dans les mêmes circonstances.

Bord, croiseur cuirassé "Marseillaise" le 15 octobre 1916.

En rade de BREST

 

HENRI POUSSIER

 

Date de dernière mise à jour : 14/09/2020

Ajouter un commentaire

Anti-spam