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Juillet 1916
Le samedi 1er juillet 1916.
Branle-bas à 5 h 15. Lavage de linge, des hamacs, des grands sacs, briquage de bancs et tables, des boites à plats pour les deux bordées jusqu'à 9 h 30. Comme tout le monde, il n'y à pas de paresseux aujourd'hui, car voilà bien longtemps qu'il n'y a eu de lavage de linge, je lave mon hamac puis du linge, ça ne manque pas. Il n'y a pas assez d'eau pour laver, c'est plutôt terrible, il revient en tout 5 litres d'eau par homme, et encore avec la perte cela fait 4 litres au moins. Mais celui qui commande le temps a entendu notre prière et il ne tarde pas de nous envoyer de l'eau, il pleut à torrents. L'eau qui coule sur le pont par l'intensité de la pluie sert à laver tout hamacs, linge etc., c'est presque rigolo de voir tout un équipage en tenue de bain et même à court vêtu sous la pluie, faire office de blanchisseuse. Ce système est économique pour l'eau car celle-ci coûte cher aux Bermudes, mais pour la santé des hommes, ce procédé nuirait sensiblement. Enfin c'est la guerre qui veut ça. Un croiseur anglais entre en rade vers 8 h, il a deux cheminées, vers midi un deuxième entre, il a 3 cheminées, il est suivi d'un transport de troupes canadiennes sur lequel il y a une quantité de soldats. Ce midi bœuf rôti, ragoût de pommes de terre, fromage. Permissionnaires 2ème division de 14 h à 18 h. L'équipe de sports descend à terre de 14 h à 18 h également, je ne descends pas à terre. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, nouilles à l'eau.
Le dimanche 2 juillet 1916.
Branle-bas à 5 h 15. Bas l'ouvrage à 8 h 30. Répétition du chœur "Les Brésiliennes" à 10 h. Ce midi bœuf rôti, purée, fromage. Cet après-midi 200 soldats canadiens viennent fraterniser avec nous à bord, un concert est formé pour eux, puis il leur est offert des rafraîchissements par la coopérative. Presque tous ces soldats parlent le français, beaucoup d'entre eux ne connaissent pas l'anglais. Il y a parmi eux des Russes, Italiens, Belges, et un peu de toutes les races. La langue maternelle des 90/100 de tous ces soldats est la langue française. Ils ont presque tous un accent qui se rapproche du breton ou du normand, desquels ils sont d'ailleurs les descendants depuis quelques siècles. Un officier canadien nous fait un discours en français, il nous avise dans ce discourt de la sympathie des Canadiens pour les Français et de la fraternité que nous trouverons parmi ces soldats, je ne puis dire le contraire, si nous nous étions laissé faire, je crois bien qu'en reconnaissance de notre accueil, les soldats canadiens auraient tenté de nous embrasser. Cet officier est un des plus renommés écrivain du Canada, en français et en anglais. Enfin la fête se termine à 19 h dans les meilleures conditions. Le chœur que nous avons appris a été la clôture de la fête et a été plusieurs fois applaudi. Ce soir ragoût de bœuf, fayots blancs, riz au lait. Après le branle-bas le groupe des lolos se réunit et le concert recommence. Il est encore tard quand je descends me coucher.
Le lundi 3 juillet 1916.
Branle-bas à 5 h 15. Le croiseur anglais appareille à 6 h. Quelques instants après le "Cyntée" arrive et mouille d'abord en rade puis lève l'ancre pour mouiller en rade abri dans le port. Travaux divers à l'atelier. Ce midi, rôti de bœuf, fayots rouges, confitures. Je suis de service aux treuils d'embarcations aujourd'hui. Ce soir ragoût de bœuf, pommes de terre, nouilles en gratin. Il est minuit et demi quand je suis libéré du service des treuils et il fait chaud dans les batteries.
Le mardi 4 juillet 1916.
A 3 h allumage des feux. A 5 h 15, branle-bas. A 7 h appareillage. Je suis exempt de quart pour travailler à l'atelier, il y a un appareil de T.S.F. à modifier et je suis employé dessus. Nous appareillons pour convoyer le transport de troupes canadiennes. En sortant de la passe, à l'extrémité des Îles Bermudes, celui-ci nous signale une avarie et réclame deux heures pour réparations. Nous l'attendons puis vers onze heure trente nous repartons avec lui. Ce midi rôti de bœuf, ragoût de pommes de terre, confitures et jus. Même travail à l'atelier, mais tonnerre de tonnerre il fait chaud y travailler. Ce soir ragoût de bœuf, macaronis, fayots blancs en salade. Il ne fait pas beau en mer, les vents agitent les flots et les flots le navire.
Le mercredi 5 juillet 1916.
Branle-bas à 6 h. Les vents sont comme hier, la mer est toujours un peu agitée. A 8 h, la vigie signale deux bateaux. Poste de combat et aussitôt l'allure est augmentée pour voir le premier. Celui-ci est un cargo battant pavillon anglais, il est h quand nous l'arraisonnons, une baleinière va à bord comme de coutume. A 11 h, nous arraisonnons le deuxième, celui ci ne stoppait pas, il a fallu tirer un coup de 47 mm à blanc pour le faire stopper. C'est un voilier 3 mâts battant pavillon Chilien: carré bleu en haut à gauche avec une étoile blanche au centre du bleu, un carré blanc à suivre pour finir la bande en bas une bande rouge. Ce midi, bœuf bouilli, pommes de terre, fromage et jus. Il fait très chaud, le soleil tape dur, heureusement qu'il y a du vent. Les casques sont sortis des casiers et deviennent obligatoires sur le pont. Ce soir singe froid, confiture, riz au lait. Il y avait du bœuf frigorifié aux fayots mais le bœuf s'étant décomposé dans la marmite du maître coq, il a été jeté à l'eau et c'est pourquoi nous avons eu du singe froid. A minuit quand je suis descendu me coucher, il y avait un bateau en vue par l'avant car deux feux bien distinctifs accusaient sa présence. Une baleinière va à bord.
Le jeudi 6 juillet 1916.
Branle-bas à 6 h. Lavage de linge, briquage de bancs et tables jusqu'à 8 h, notre transport nous suit toujours. Ce midi, bœuf bouilli, fayots en salade, confiture et jus. A 17 h la terre est en vue mais très loin, c'est l'île St Domingue. Nous sommes dans le canal du vent entre Haïti et l'île de Cuba. Ce soir ragoût de bœuf et singe aux pommes de terre, nouilles à l'eau. Je me couche très tard ce soir car il fait une chaleur étouffante dans les batteries. La mer est moins agitée qu'hier, il fait beau, les vents ne sont pas très fort.
Le vendredi 7 juillet 1916.
Branle-bas à 6 h. Depuis 4 h je suis levé, je ne puis plus tenir dans mon hamac, il fait trop chaud. Un bœuf est abattu ce matin. De 9 h 30 à 11 h la terre est en vue par tribord, c'est une terre plate dont je ne connais pas encore le nom. Le transport que nous convoyons s'est rapproché de nous. Ce midi, bœuf bouilli, pommes de terre, fromage et jus. La terre est en vue par tribord à la tombée de la nuit. Ce soir ragoût de bœuf et singe fayots blancs, riz à l'eau.
Le samedi 8 juillet 1916.
Branle-bas à 6 h. Un bœuf est abattu ce matin. Ce midi ragoût de bœuf fayots blancs en salade, nouilles à l'eau. A 15 h nous mouillons en rade de Kingston. Permissionnaires 1ère division de 16 h à 19 h 30. Je ne descends pas à terre. Ce soir ragoût de bœuf et singe aux pommes de terre, fromage de hollande. Il fait une chaleur terrible dans les batteries pourtant les sabords sont tous ouverts depuis l'arrivée au mouillage. Encore 104 h de mer.
Kingston
Le dimanche 9 juillet 1916.
Branle-bas à 5 h 15. permissionnaires 4ème division de 8 h à 11 h. Volontaires pour la messe à terre dans la matinée. Je commence ma semaine de plats ce midi, bœuf bouilli, pommes de terre, fromage et jus. Je vais à terre avec l'équipe de sports. Ce soir ragoût de bœuf, riz au lait. Il fait tellement chaud dans les batteries que nous ne pouvons y résisté.
Le lundi 10 juillet 1916.
Allumage des feux à 3 h. Je suis réveillé à 3 h pour le cabestan. Branle-bas à 4 h, appareillage à 8 h, nous allons à l'appontement. Embarquement de charbon par les moyens des noirs du pays, 650 tonnes de cardiff. Un bœuf est abattu ce matin. Ce midi bœuf rôti, fayots blancs, bananes et jus. Paiement de l'équipage, solde de juin à 13 h. Je touche deux livres sterling, la livre est évaluée à 28,14 F Un courrier nous apporte notre correspondance, quelle joie parmi l'équipage, depuis le 24 mai nous n'avons pas eu le plaisir de lire un peu les nouvelles des nôtres, celles-ci ne sont pas fraîches mais c'est les premières que nous avons depuis. Il y a un mouvement en rade dont je ne prends pas note car je ne suis pas trop souvent à la surface, mon travail m'oblige de rester en bas, je demande souvent des faveurs pour descendre à terre, pour faire une partie de football, alors il faut une compensation qui est de faire mon possible quand le travail presse. Permissionnaires 3ème division de 16 h 30 à 20 h 30. Je vais à terre avec l'équipe de foot et rentre avec les permissionnaires. Les dockers font du chambard ce soir. Le charbon est embarqué à 21 h. Je couche dans mon hamac sur le pont, il fait trop chaud en bas et avec le charbon c'est dégoûtant. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, fromage.
Le mardi 11 juillet 1916.
Branle-bas à 5 h 15. Propreté générale du bâtiment, embarquement de combustibles divers. Je suis de service aux treuils aujourd'hui. Ce matin un bœuf est abattu. Changement de grands sacs. Ce midi bœuf bouilli, pommes de terre en robe, bananes et jus. Permissionnaires 4 ème division de 16 h 30 à 20 h 30. Ce soir ragoût de bœuf fayots blancs, bananes. L'eau douce court sur le pont, j'en profite pour laver quelques morceaux de linge. Il pleut un peu ce soir et il fait toujours très chaud dans les batteries, on dort dans un bain de sueur.
Le mercredi 12 juillet 1916.
Branle-bas à 5 h 15. Un bœuf est abattu ce matin. Lavage d'une couverture, de linge, des grands sacs jusqu'à 9 h 15. L'eau douce ne manque pas ici, les manches sont installées et l'eau court sur le pont. Il y a aussi autorisation de laver sur l'appontement. Embarquement de bœufs vivants et de vivres divers dans la matinée. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre en robe, bananes et jus. Permissionnaires 1ère division de 16 h 30 à 20 h 30. Je descends à terre avec l'équipe de foot qui se rencontre sur le terrain du Gardens-Park avec la première équipe d'un collège de Kingston. Le match a lieu de 17 à 18 h 30, l'équipe du collège est battu par 4 buts à 1. A la première mi-temps nous marquions 1 but contre zéro, nos adversaires étaient rompus à la fin de la partie. Le terrain est assez joli, aujourd'hui surtout car ce matin il a plu ce qui a beaucoup ramolli la terre, pendant le match nous avons été une heure sous les rayons brûlants du soleil. Pendant le match nous étions assistés par Mr le consul de France, des autorités anglaises et Mr & Mme des officiers du bord, il y avait aussi une forte galerie de civils. Après une partie comme celle-là, quand j'ai été refroidi j'ai senti la fatigue. je reste manger à terre et rentre à bord à 20 h 30. Nous avons changé de bord, nous sommes accostés au côtéopposé o- nous étions, un croiseur anglais le "H. M.S. Suffolk" est amarré à notre place.
Le jeudi 13 juillet 1916.
Branle-bas à 5 h 15. briquage de bancs et tables et des boites à plats. On me fait chercher pour me mettre au travail avant l'heure, l'appareil de T.S.F.. presse. Un bœuf a été abattu ce matin. Ce midi bœuf rôti, fayots blancs, bananes et jus. Je travail pendant la sieste ce midi, car n'étant pas permissionnaire, je veux descendre à terre. De 16 h 30 à 20 h 30 je descends avec l'équipe de football. A 17 h 15 nous nous mesurons avec une équipe sélectionnée composée des étoiles des meilleurs clubs de Kingston. La partie ne dure qu'une heure, à notre désavantage malgré que nos adversaires étaient plus fatigués que nous à la fin de la partie. Nous sommes battus par 2 buts à zéro. Le match a lieu sur le terrain de Savina-Park, un des meilleurs de Kingston, par le fait il est superbe. Tous les grands matchs ont lieu sur ce terrain. Je mange à terre et rentre à bord à 20 h 30. Un courrier anglais par via New-York part dans la journée. Il a fait une chaleur très forte aujourd'hui.
Le vendredi 14 juillet 1916.
Un bœuf est abattu ce matin. Branle-bas à 5 h. Les feux sont allumés à 3h. Je suis réveillé à 2 h 30 pour les treuils, mais je me recouche et ne prends le service qu'au branle-bas. A 7 h appareillage. Ce midi, radis, beurre, jambon, bœuf rôti, fayots blancs, petit beurre, confiture, double en vin, jus et cigare. Ce n'est pas mal pour un 14 juillet, mais être à la mer, c'est une autre affaire. Mon travail sur l'appareil de T.S.F.. est de plus en plus urgent, je n'ai à peine le temps de manger. Ce soir bœuf bouilli, pommes de terre, thon à l'huile et fromage. Aussitôt, après avoir mangé, au travail, ordre est donné de ne pas se coucher avant que l'appareil soit monté paré à fonctionner en cas d'alerte. Il est minuit quand nous transmettons le premier télégramme, les résultats sont satisfaisants et peu de temps après je vais me coucher, très fatigué, mes forces me font presque défaut. Il fait une chaleur épouvantable dans les batteries, pas moyen d'y dormir, alors je monte sur le pont. Un bateau est venu de Kingston avec nous, il est par bâbord.
Le samedi 15 juillet 1916.
Branle-bas à 6 h. La terre est en vue par bâbord. Nous sommes stoppés pour arraisonner un cargo, il a 4 mâts et deux petites cheminées, il marche au pétrole. Une baleinière va à son bord, il bat le pavillon norvégien puis nous repartons. Nous augmentons l'allure pour un bateau qui est devant nous, c'est un américain, nous échangeons des signaux internationaux avec lui puis nous continuons notre route. Ce matin je me mets pas à l'ouvrage, ainsi que les hommes qui étaient avec moi hier au soir. Ce midi, morue bouillie, pommes de terre en robe, fromage et jus. En récompenses des services rendus pour la confection du nouvel appareil de T.S.F. Mr le mécanicien principal nous offre une bouteille de champagne, ce qui revient à un verre par homme vu qu'il y un maître et trois matelots, ça ne fait tout de même pas de mal par ou ça passe. Je suis de quart de 11 h à 12 h à la machine à glace puis j'ai mon après-midi disponible. A 15 h nous arraisonnons un cargo battant pavillon norvégien, c'est un pétrolier, puis nous repartons. A 17 h, nous arraisonnons un autre cargo norvégien, le "Terrier-Tomderc". Ce soir purée, jambon, fayots blancs à l'huile. Je n'ai pas eu trop le temps de voir le temps qu'il fait depuis l'appareillage, ce matin la mer était belle, mais ce soir les vagues sont creuses, les vents sont très forts et viennent par tribord avant, la lame se soulage beaucoup. Enfin j'ai nuit franche. A la machine à glace de 17 h à 21 h pour remplacer le quartier maître de poste ce soir. Vers 20 h nous passons pas très loin d'une terre, car on voit un feu fixe qui accuse une terre certaine. Un deuxième feu nous suit, c'est celui du bateau qui est parti de Kingston avec nous. Nous sommes sur la ligne de New-York.
Le dimanche 16 juillet 1916.
Branle-bas à 6 h. Un bœuf est abattu ce matin. Ouf!.. ça y est encore une semaine de plats de terminé. Ohé! matelots, la mer chahute ce matin, toute la nuit elle a fait du raffut et ce matin elle continue, le navire danse la gigue, c'est rigolo. Nous rencontrons deux cargos dans la matinée, un norvégien et un américain, nous échangeons les signaux internationaux avec eux puis nous continuons notre route car le temps ne permet pas de mettre une embarcation à la mer. Ce midi, bœuf rôti, riz au gras, fromage et jus. La mer devient de plus en plus mauvaise, les vents sont bien pris. Toute la matinée au travail, comme celui-ci n'est pas si urgent que celui des jours derniers, repos du dimanche cet après-midi, j'en profite pour m'allonger sur le pont puis je me suis endormi au soleil, celui-ci est tellement chaud que j'ai attrapé une brûlure sur la jambe gauche qui était découverte. Ce soir ragoût de bœuf et singe aux pommes de terre, nouilles. Les vents ne cessent de souffler, le navire tangue et roule de plus en plus, il n'y a pas moyen de ne rien tenir sur les tables, le pinard se balade dans la batterie basse, plusieurs bidons ont été chavirés par les coups de roulis. Après souper je monte sur le pont, c'est magnifique de voir la mer en fureur quand on n'est pas malade, mais des fois ça coûte des vies humaines et en tout temps ça fatigue énormément. Des radeaux sont installés sur le pont et prévus en cas d'attaques de sous-marins signalés dans la contrée. Les vents rafraîchissent beaucoup le pont mais l'intérieur du navire est très chaud.
Le lundi 17 juillet 1916.
Branle-bas à 6 h. Un bœuf est abattu ce matin. Rien de nouveau dans la matinée, travaux divers à l'atelier. Il y a une légère accalmie de 7 h à h mais ça reprend que mieux, la houle de fond s'en mêle sérieusement aujourd'hui. Ce midi bœuf bouilli, pommes de terre, fromage et jus. Ce soir bœuf rôti, riz au gras, nouilles. La mer chahute toujours.
Le mardi 18 juillet 1916.
Branle-bas à 6 h. La mer est toujours très mauvaise, il y a des malades depuis deux jours, jusqu'à'à présent tout va bien pour moi. Ce midi, morue bouillie, pommes de terre, fromage et jus. Je suis toujours exempt de quart pour le travail à l'atelier. Ce soir thon à l'huile, pommes de terre en robe, fayots en salade. Nous changeons un peu de cap, la lame vient presque bout et le navire est sérieusement secoué. Depuis hier matin il y a 2 vigies, une dans le mât avant et l'autre dans le mât arrière.
Le mercredi 19 juillet 1916.
Branle-bas à 6 h. Un bœuf est abattu ce matin. Les vents sont un peu moins forts mais la mer est toujours mauvaise. A 6 h nous croisons un cargo battant pavillon anglais. Nous échangeons avec lui des signaux puis repartons. Vers 7 h le bateau phare de Baltimore est en vue, il a 2 mâts et de loin il ressemble à un cargo. Vers 11 h 30 la terre est en vue, on voit bien un patelin au fond d'une petite baie mais je ne sais pas lequel, nous stoppons puis faisons demi-tour car il y a pas de fond. Plusieurs bateaux sortent de l'entrée d'un port que je suppose important. Ce sont des bateaux anglais parmi lesquels se trouvent un croiseur et plusieurs cargos. Ce midi, bœuf bouilli, pommes de terre, fromage et jus. Plusieurs bateaux sont en vue, il y en a de tous bords, il fait trop mauvais temps pour aller à bord, nous échangeons seulement des signaux avec eux à tour de rôle. A 18 h nous croisons un vapeur battant pavillon américain, il a une cheminée et est peint tout en blanc. Ce soir ragoût de bœuf fayots blancs, riz au lait. La mer est toujours aussi mauvaise, les vents aussi forts, le navire est terriblement secoué, ballotté, par moment il y a des embruns qui balaient tout le pont. Il est des coups de roulis qui font tremper les volées des pièces de 100 mm en casemates au milieu du navire. Des gardes corps ont été installés sur le pont pour le roulis.
Le jeudi 20 juillet 1916.
Branle-bas à 6 h. Un bœuf est abattu ce matin. Il n'y a aucune accalmie dans le temps, je crois bien que c'est le contraire. Ce midi bœuf bouilli, fromage et jus. L'heure est avancée de 18 minutes. Vers 13 h 30 le pont est consigné, seuls les spardecks et la teugue (petite dunette à l'avant ou à l'arrière d'un navire) sont autorisés, nous sommes sur le passage d'un cyclone, il pleut à torrents, on croirait être engloutis sous les flots. Nous avons la lame par tribord avant, les vents sont plus forts que jamais, il y a des vagues qui font au moins 10 mts de creux, avec le roulis, elles touchent les baleinières de sauvetage qui sont sur leurs bossoirs. Le panneau milieu est consigné et obturé à cause des paquets de mer, l'eau embarque partout sur le pont, nous tournons 70 tours et continuons le même cap sans que ce soit notre route pour cause du mauvais temps. Je n'ai jamais vu la mer aussi démontée, c'est magnifique, je ne suis pas malade, mais quand on se rend compte c'est périlleux. Dans les batteries maintenant il ne fait pas trop chaud quoique tous les sabords soient fermés depuis l'appareillage. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, nouilles. Il y a encore quelques malades aujourd'hui.
Le vendredi 21 juillet 1916.
Branle-bas à 6 h. Nous avons fait demi-tour dans la nuit, la lame par bâbord arrière, il fait toujours très mauvais, le pont est déconsigné. Malgré les vents arrièrent nous sommes encore bien ballottés. Un bœuf est abattu ce matin. Ce midi, bœuf bouilli pommes de terre, confiture et jus. L'heure est avancée de 15 minutes. Il y a de la brume devant nous. Ce matin nous tournons 50 tours, et tantôt nous tournons 95 tours. Ce soir ragoût de bœuf aux nouilles, riz au lait. Un bœuf est abattu ce soir pour demain. La mer est toujours méchante, le navire est cependant un peu moins secoué, mais il y a encore de forts coups de roulis. Maintenant que nous avons vent arrière, il n'y a plus moyen de tenir dans les batteries, il fait trop chaud. Il y a encore beaucoup de brume ce soir.
Le samedi 22 juillet 1916.
Branle-bas à 6 h. Enfin il fait un peu moins mauvais aujourd'hui, mais quelle chaleur en bas! .. Sur le pont le froid se fait sentir, mais l'intérieur du navire est chaud. Ce midi, bœuf rôti, riz au gras, fromage de hollande et jus. La mer s'est beaucoup clamée, ce midi il fait presque beau, la brume commence à se dissiper. Ce soir ragoût de bœuf aux pommes de terre, confiture. La terre est en vue dans la soirée. A 19 h nous accostons à l'appontement de Halifax (Nouvelle-Écosse, Canada). L'heure est avancée de 1 h 30 à bord car nous étions en retard sur l'heure du Canada. Le jour ici éclaire jusqu'à 21 h 30 à l'heure du pays, ce qui fait que nous accostons à la tombée de la nuit. Le vaguemestre va à terre et nous rapporte le courrier, le bienvenu courrier de France, pour ma part je reçois des nouvelles de ma famille. L'équipage est encore heureux une fois de plus. Je crois bien qu'il n'y a rien de mieux, comme le courrier pour égayer l'équipage. Il fait froid sur le pont, depuis ce midi les effets de laine ont été sortis et ils se supportent bien, quelle différence de température avec les Antilles. Encore 204 heures de mer.
Le port d'Halifax
Souvenir d'Halifax
Le dimanche 23 juillet 1916.
Branle-bas à 5 h 15. Travaux divers à l'atelier jusqu'à 9 h. Permissionnaires 2ème division de 8 h à 11 h. Nous avons mis bas les feux, service au mouillage, je suis de quart aux treuils. Le port est très grand il y a de nombreux navires, tels que "L'olimpic" qui embarque 5000 hommes de troupes canadiennes pour le front français, et beaucoup de bateaux de commerce. Il y a aussi des navires de guerre anglais, le H.M.S. "Leviathan" le H.M.S. "Niobe" et un autre croiseur dont je ne connais pas le nom ainsi que deux petits torpilleurs. Ce midi thon en conserve, pommes de terre, fromage, confiture et jus. Permissionnaires 4 ème division de 14 h à 18 h. Ce soir singe purée, confiture. Les couleurs sont envoyées à 21 h, le jour dure jusqu'à 21 h 30 puis la brume tombe avec la nuit. Un bœuf est abattu ce soir pour demain. Je ne sais si je suis devenu frileux mais il fait froid dans ce pays.
Le lundi 24 juillet 1916.
Branle-bas à 5 h 15. Poste de lavage jusqu'à 9 h. Des équipes du pont commencent à caréner la cuirasse. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre, fromage et jus. Permissionnaires 1ère division de 17 h 30 à 21 h. Je mange aux rations à bord et descends à terre. Ce soir ragoût de bœuf aux macaronis, beurre du pays. Le beurre est excellent il a le goût de celui de france. Un marchand a eu l'autorisation de venir vendre à bord, il a du beurre, des saucissons, du tabac, pas besoin de l'écrire, il en avait une assez grande quantité, mais il n'a pas été longtemps à tout livrer vu qu'il prenait l'argent anglais pour sa marchandise. La ville est très étendue, je me suis promené seul car je n'aurai pu suivre les collègues avec ma jambe folle, j'ai visité une grande partie des rues, ma fois l'ensemble de la ville n'est pas attrayant comme on voulait bien le dire, il y a une belle rue, la principale qui se nomme: Baryton Street, c'est la seule qui est potable, le reste ressemble beaucoup aux vieilles rues de nos villes sauf que les magasins foisonnent un peu plus. Ici tous les cafés sont fermés depuis la guerre. La ville est loin d'être plate, toutes les rues transversales obliquent au moins de 5 à 7% certaines mêmes davantage. Je rentre à bord avec 10 minutes de retard, c'est la première fois que cela m'arrive, je croyais être beaucoup plus près que je ne l'étais réellement. Il y a une brume très épaisse ce soir, on ne se voit pas à 20 mts.
Halifax carte souvenir
Le mardi 25 juillet 1916.
Branle-bas à 5 h 15. Travaux divers à l'atelier. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre, fromage. A 15 h 30 nous sommes remorqués pour entrer au bassin où nous sommes enfermés à 17 h. Ce soir ragoût de bœuf aux haricots rouges, beurre. La coque est grattée à mesure que l'eau est aspirée du bassin, des équipes du pont sont armées de grattes et de brosses et sont sur des radeaux appropriés pour. Vers 22 h bas l'ouvrage dans le bassin. la corvée est remise à demain.
Le mercredi 26 juillet 1916.
Branle-bas à 5 h 15. Corvée de bassin à l'appel à 6 h. Je suis employé à l'atelier. Ce midi bœuf bouilli pommes de terre, confiture et jus. Le bassin est vide vers midi, celui-ci ressemble à celui de France mais beaucoup moins grand et la propreté n'y règne pas. La coque est entièrement grattée aujourd'hui. Un courrier par via New-York est arrivé à bord aujourd'hui, la distribution est faite dans l'après-midi, j'ai eu quelques nouvelles de ma famille. Ce soir ragoût de bœuf aux macaronis, beurre et pain anglais des subsistances. Permissionnaires 3ème division de 17 h 30 à 21 h. Je me couche à la tombée de la nuit.
Le jeudi 27 juillet 1916.
Branle-bas à 5 h 15. A 6 h corvées de bassin à l'appel. Peinture générale de l'extérieur du bâtiment. Des groupes sont divisés pour peindre la coque en dessous et d'autres en dessus. Ce midi porc rôti, pommes de terre, fromage. Permissionnaires 4ème division de 17 à 21 h. Ce soir morue fraîche, pommes de terre, beurre. Il fait moins froid que les jours passés, ce soir aussi presque tout l'équipage se promène sur le pont jusqu'à 21 h, beaucoup sont distraits à faire la pêche sur les quais, le poisson abonde, il y en a de toutes sortes. Moi et un copain nous visitons un pétrolier et un charbonnier anglais qui sont à quai, l'entretien manque beaucoup dans ces deux navires.
Le vendredi 28 juillet 1916.
Branle-bas à 5 h 15. Continuation de la peinture de la coque et travaux de bassin. Ce midi bœuf rôti, pommes de terre, beurre et jus. Permissionnaires 1ère division de 16 h 30 à 21 h. Je descends à terre et fais une partie d'entraînement avec l'équipe de football. Je mange à terre.
Le samedi 29 juillet 1916.
Branle-bas à 5 h 15. Oh aie, aie, il fait froid la nuit dans ce patelin, le jour ça peut encore aller quand il y a du soleil, mais la nuit! à au branle-bas, le bassin est presque rempli. Vers 8 h nous sortons du bassin, nous sommes remorqués et accostons à l'appontement o- nous étions précédemment. Aussitôt amarré, embarquement de charbon par les moyens du bord. Ce midi bœuf rôti, pommes de terre, thon à l'huile. L'embarquement de charbon se fait avec des mannes que chaque homme remplit et apporte à bord. Je vais à terre de 16 h à 21 h avec l'équipe de football. Nous nous rencontrons avec l'équipe première du H.M.S. "Léviathan" sur le terrain de la citadelle. L'équipe Léviathan bat la "Marseillaise" par 7 buts à 2. Je mange un peu à terre car je suis fatigué. En arrivant à bord à 21 h on nous donne à manger et une double ration en vin. Permissionnaires 2ème division de 18 h à 21 h.
Le dimanche 30 juillet 1916.
Branle-bas à 5 h 15. Au travail jusqu'à 9 h 30 au service machine. Les volontaires pour une promenade partent du bord à 8 h. Permissionnaires 1ère division de 8 h à 11 h, volontaires pour la messe partent du bord à 9 h 30. Ce midi porc rôti, pommes de terre, fromage. Je suis de quart aujourd'hui car je remplace un bâbordais qui m'a remplacé hier pour que je puisse descendre à terre pour le match. Vers midi nous recevons un courrier direct de France par l'Angleterre, j'ai dans ce courrier une lettre de ma famille. Cet après-midi je profite d'un moment de repos pour mettre mon courrier à jour, sur le pont il fait un froid glacial, le temps est rouge sans brume mais très sombre. Ce soir ragoût de bœuf fayots rouges, confitures.
Le lundi 31 juillet 1916.
Branle-bas à 5 h. L'équipage prend la tenue de charbon pendant le déjeuner et recommence la séance délaissée samedi. Je suis toujours exempt de charbon, comme tous les ouvriers puisqu'il n'y a pas un d'entre nous à faire le charbon. Travaux divers à l'atelier. Ce midi, ragoût de bœuf aux macaronis, riz au lait. Embarquement de bœufs, moutons, vivres divers, vin, pommes de terre etc. Ce soir harengs fumés, pommes de terre, beurre. Les harengs sont énormes et bien fumés, mais pas assez cuits, malgré ça ils sont excellents. Paiement de l'équipage à 18 h. Les hommes de la 4ème division ont été payés à midi. Il y a ce soir 850 tonnes de charbon d'embarquées. Je touche ma paie entière, 9 dollars, le dollar est évalué à 5 F 79.
Date de dernière mise à jour : 14/09/2020
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